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D'OU VIENT-IL ?
Les développements de l'Archéologie et des méthodes physiques qui lui sont appliquées, les progrès de l'Ostéologie et de la Génétique peuvent laisser penser que l'on peut aujourd'hui retrouver et reconstituer n'importe quoi ! Les choses ne sont évidemment pas si simples. Et avant d'interpréter, il faut trouver le matériel archéologique... de nos petits mustélidés. Pas si évident.
PRÉHISTOIRE ET PROTOHISTOIRE : Pour le grand public, la préhistoire humaine est quelque chose d'assez flou. En théorie, tout le monde voit ce que c'est que l'Histoire et la Préhistoire, ce qui s'y rattache comme images... En réalité ce n'est pas si simple : on pourrait détailler ça sur des pages, mais bon. la préhistoire se place avant l'histoire d'accord ; mais quand commence la préhistoire humaine et quand elle finit, c'est variable selon les lieux... et la date du livre que vous aurez lu. La chronologie de la préhistoire humaine s'insère dans la chronologie géologique que nous avons vu à la rubrique Histoire Naturelle. chronologies : âges glaciaires et civilisations environnement naturel cultures et techniques pratiques domesticatoires quand s'arrête ? la Protohistoire, bibli Le Ciel, la Terre, la Vie et les Hommes : essai d'une chronologie, par Louis Fournet, en 1993 (ISBN 2-907854-18-6).
LES INDICES : Si vous voulez quelque chose d'universel et connu de tous, c'est bien les grottes ornées, manifestation la plus spectaculaire de l'Art paléolithique. C'est à la fin de la Préhistoire, de l'Aurignacien au Magdalénien (entre -30 000 et -11 000 ans avant notre ère) que les Cro-Magnon ont réalisé l'essentiel de l'art préhistorique, mobilier et pariétal. Des peinture rupestre de mustélidé ça existe ? Et oui, en précisant qu'il s'agit d'un animal très rare. Il est bien entendu qu'on ne peut pas parler encore de furet pour cette période, s'agissant d'un animal domestique... pour une période antérieure aux processus domesticatoires ! L'exemple le plus net est certainement celui du réseau Clastres, en France. Cette grotte située dans l'Ariège communique avec le réseau des grottes de Niaux ; elle n'est pas ouverte au public. Elle a été découverte tardivement grâce aux techniques modernes d'exploration en 1970, ce qui a permis de retrouver un excellent état de conservation des peintures et empreintes au sol. L'essentiels de ces informations sont vérifiables dans le superbe livre de J. Clottes Les cavernes de Niaux, de 1995. Au centre du réseau se trouve la Salle des Peintures, avec de quelques dessins (dont cheval et bisons), dont notre mustélidé.
L'image mesure 46 cm de long se situe à 1m30 des autres, à hauteur assisse. Le dessin schématisé mais animé, de l'animal a été rapidement fait au trait noir, en une dizaine de traits seulement ! Cela témoigne donc de la grande habileté de l'artiste mais aussi de sa bonne connaissance de l'animal qu'il a dû pouvoir observer lui-même. Le trait noir du dessin a été fait au charbon de bois très finement broyé mêlé à de la biotite et de la potasse, sans esquisse préalable au fusain. Ce style et l'étude des occupations humaines de la grotte ont permis d'en faire une datation au Magdalénien Moyen. L'animal a été interprété comme étant une belette par F. Delpech, spécialiste venu la voir sur place ; il a d'ailleurs publié un article (que je n'ai pas encore°) sur l'animal en 1990. Le fait est que le rapport et la proportion de la tête au corps, l'allongement du cou, ne peuvent évoquer qu'une hermine ou une belette. Et surtout, la taille de la queue est déterminante : la belette l'a plus courte que les autres mustélidés de nos régions. Au passage, il est très rare qu'en art préhistorique qu'un animal soit représenté plus grand que nature. Pour l'anecdote, on a retrouvé un squelette de fouine dans la grotte ! Quelques spéculations ont été faites, dont en relation avec la peinture, mais la réalité fournie par les restes et les empreintes est beaucoup plus prosaïque. La fouine est d'époque Holocène, donc beaucoup plus récente ; victime de sa curiosité (comme quoi il n'y a pas que les furets), l'animal s'est retrouvé par une fissure piégé dans la grotte, tout simplement...
L'ANCÊTRE SAUVAGE ? RECHERCHE TRACES DESESPEREMENT : Encore avant de parler d'Histoire, je voulais dans ce chapitre remonter la bibliographie contemporaine sur l'origine et la domestication du furet, du moins en parlant des textes-clés qui paraissent incontournables...
Le cas de l'article d'A. Cabrera : La patria de " Putorius Furo " publié à Madrid en 1930. Alors là, c'est un gros morceau... Cet article semble par trop méconnu, et jusqu'à maintenant je n'en ai retrouvé mention que dans le livre de Thévenin. Et pourtant ! Le Dr Angel Cabrera s'est rendu dans les montagnes du Maroc espagnol durant les années Vingt... et ce qu'il y a vu en fait probablement l'article le plus important de ma bibliographie. L'article de trois pages est structuré en trois : d'abord une introduction rappellent où en était la question de l'origine du furet en 1930, avec des références bibliographiques du XIX° siècle et du début du XX°, là aussi peu reprises : Schinz 1844, Pedrez-Arcas 1874, Johnson 1903, Trouessart 1910, Miller 1912). Il y précise que depuis les auteurs de l'Antiquité jusqu'au milieu du XIX° Siècle, on considérait que l'origine du furet était en Afrique du Nord. Puis que ceci a été mis en doute depuis, le Furet pouvant être selon l'opinion générale des auteurs issu d'une variété pâle d'Espagne du Putois, ou bien rapproché du Putois des Steppes ; un des problème de butée étant l'absence de putois en Afrique du Nord (déjà qu'il n'y en a même pas en Grèce ! o). La seconde partie contient certainement les données les plus intéressantes, à savoir à savoir les observations recueillies par le Dr Cabrera de 1919 à 1929 dans les montagnes marocaines du Rif : nous y reviendrons. La troisième partie est reproduite ici dans son intégralité (texte original espagnol et version française, cadre ci-bas) : il s'agit des conclusions qu'en a tiré le Dr Cabrera. J'ai transmis le texte intégral à la webmestre de Todos Hurones
Bien : qu'à vu au Maroc le Dr Cabrera ? Des furets ! Venant d'où ? De populations de furets sauvages ! Le cadre des observations, ce sont les montagnes du Rif , que l'on voit ci-contre sur la carte du Maroc des Années 1920 ; c'est au nord du Maroc, non loin de l'Espagne. Cette contrée est en réalité très différente de ces images de touristes français au Maroc qui veulent obstinément se faire photographier sur un dromadaire... o) Le Rif est une petite chaîne de montagne qui longe la Méditerranéenne, mais assez haute (culminant à 2400 m) ; le climat y fait penser plus à l'Europe du sud qu'au reste du Maroc : c'est d'ailleurs sa région la plus humide (les toits typiques y sont même en double pente comme en Europe et non en terrasse!) ; elle possède des forêts de chênes ou de conifères, et est traditionnellement peuplée d'indigènes berbères structurés en tribus. Ces données géographiques viennent du Guide Bleu Maroc de J.-J. Fauvel (1994), et d'ouvrages délibérément vieux à cause des transcriptions de noms de lieux dont parle le Dr Cabrera en espagnol/français/arabe : le "Que Sais-je" Le Maroc de J-L. Miège en 1950, Northern Morocco de Mikesell en 1961, et bien sûr la Géographie Universelle de P. Vidal de la Blache (t.XI) en 1937. C'est dans cette région peu peuplée et isolée - le réseau routier date des années 1960 et encore aujourd'hui cet isolat est la première région productrice du cannabis consommé au Maghreb et en Europe - que le Dr Cabrera a rencontré des chasseurs indigènes. Au printemps 1919, il a d'abord été dans le Rif oriental où il a vu la présence du furet ; les renseignements obtenus lui parurent tellement vagues qu'il a d'abord cru les furets marocains achetés aux espagnols. Deux ans plus tard en 1921 le docteur se rend dans le Rif occidental, région de Xauen (en français Chaouen, l'actuelle Chechaouen) ; là, il est témoin de l'usage du furet en parties de chasse... pour chasser le lapin. Un chasseur professionnel de la famille de son guide lui assure alors que cet animal, à l'état sauvage , est parfaitement connu dans les montagnes de Gomara (actuel massif de la Rhomara), où l'on va chercher les portées, pour les acclimater à la captivité !!! Je cite (p.478) : " [...] asegurándome que el animal, al estado salvaje, era perfectamente conocido en las montañas de Gomara, donde se buscaban las crías para acostumbrarlas a la vida cautiva [...] ". Des chasseurs rencontrés, tous étaient d'accord pour affirmer que le Furet se rencontre seulement dans la région qui s'étend de Chaouen à la rivière Nekor, et qu'il y était chaque fois plus rare à cause de l'habitude de tuer les mères pour leur voler les petits : " [...] Todos ellos estaban de acuerdo en afirmar que el hurón sólo se encuentra en la región que se extiende desde Xauen hasta el Nekor, y cada vez es más raro, por la costumbre que hay de matar las madres para quitarles los pequeños [...] " (p.478). Son élevage en capitivité paraissant être une spécialité des montagnards du Rif occidental qui les vendent aux autres indigènes, un furet bien apprivoisé pouvant rapporter cher... Et ce n'est pas fini : en 1923, Angel Cabrera est à Chaouen pour la deuxième fois et y rencontre l'officier du Bureau Indigène ; celui-ci lui explique que ces montagnards savent très bien distinguer le Furet de la Belette (comadreja), auxquels ils donnent respectivement les noms de " Nems " et de " Far el Jail " (la vallée de Chaouen est arabophone mais pour l'étymologie il serait intéressant de connaître le nom berbère)... ce qui rejoint exactement les dénominations déjà signalées en Algérie au XVIII° Siècle par T. Shaw. Et là arrive le point le plus troublant : aucun des exemplaires de furets marocains vu par le Dr Cabera n'offre la moindre tendance à l'albinisme , et les chasseurs marocains n'avaient même pas la moindre idée de ce qu'était un furet albinos !!! Je n'invente rien : " [...] todos los ejemplares quien en manos de aquéllos he visto eran idénticos entre sí y nunca ofrecían la menor tendencia al albinismo [...] . Ninguno de los cazadores marroquies con quienes que he hablado del asunto tenía la menor idea de que hubiese animales de esta especie blancos, con ojos colorados. " (p.479). Le Dr Cabrera avait le projet de revenir poursuivre ses explorations, notamment dans le but d'obtenir un exemplaires de ces fameux furets sauvages du Rif ; malheureusement, il en a été empêché par sa mutation... en Argentine o)! Il a utilisé ensuite comme correspondant le Dr Font Quer, botaniste renommé qui lui envoya un courrier le 20 Novembre 1929, lui signalant la vente, périodiquement, de furets de chasse sur le marché de Bab Taza au sud-est de Chaouen. Et donc en 1930 Angel Cabrera écrit cet article dont il conclut :
LA PATRIE DE PUTORIUS FURO, .......Boletin de la Real Sociedad de Historia Natural ; 1930, vol. 30 p. 477 | LA PATRIA DE PUTORIUS FURO, .......Boletin de la Real Sociedad de Historia Natural ; 1930, vol. 30 p. 477 |
" [...] Bien que notre estimé confrère n'ai pas eu l'opportunité de m'envoyer des exemplaires, comme l'était son intention, je crois que ses informations, rajoutées aux éléments de jugement antérieurs en ma possession, sont suffisants pour que nous puissions affirmer que la
patrie originelle du furet est en Afrique du Nord, faisant ainsi justice à l'opinion des naturalistes antiques.
Très probablement, l'espèce était en d'autres temps beaucoup plus abondante et se tenait à demeure dans toutes les zones montagneuses du nord de l'Afrique, et son aire de dispersion est devenue depuis progressivement réduite, comme cela est arrivé pour tant de mammifères du Maghreb. Que son existence dans les montagnes du Rif soit passée inaperçue à l'époque moderne, cela n'a rien d'étrange si l'on prend en compte que ces lieux étaient jusqu'à aujourd'hui une véritable terra incognita, non seulement pour les naturalistes, mais aussi pour le simple voyageur. Le cas paraît le même pour la poule de Numidie des Anciens, rencontrée sur la côte occidentale du Maroc il y a seulement une douzaine d'années de cela, en dépit du fait que cette région est bien mieux connue des européens que la Chaîne du Rif.La présence d'un mustélidé de type centroasiatique, comme P. furo, dans le nord de l'Afrique est, à part ça, parfaitement logique, et représente seulement un élément de plus du facteur touranien qui fait partie de la faune du Maghreb, facteur que partagent aussi les genres Paraechinus, Gerbillus, Jaculus et Scirtopoda, le chacal, la hyène rayée et d'autres mammifères." |
" [...] Aunque nuestro estimado consocio no ha tenido oportunidad de viarme ejemplares, como era su
propósito, creo que sus noticias, unidas a los elementos de jucio que yo anteriormente
poseía, son suficiendos para que podamos afirmar que la patria del hurón
está en el Africa Menor. Se haciendo
así justicia a la
opinión de los antiguos naturalistas. Muy problemente, la especie sería en otro tiempo mucho más abundante y se tendería acaso por todas las zonas montañosas del norte de Africa, habiéndose reducido después paulatinamente su areá de dispersión, como ha occurido con tantos otros mamíferos berberiscos. Que su existencia en las montañas del Rif haya pasado inadvertida en la época moderna, nada tiene de extraño si se tiene en cuenta que hasta ahora han sido aquéllo una verdadera terra incocognita, no ya para el naturalista, sino para el simple viajero. El caso es parecido al de la gallina de Numidia de los antiguos, encontrada en la costa occidental de Marruecos hace sólo una docena años, no obstante ser una región mucho más conocida por los europeaneos que la Cadena Rifeña.La presencia de un mustélido de tipo centroasiático, como P. furo, en el norte africano es, por lo demás, perfectamente lógica ; pues solo representa un factor más en el elemento turanio que forma parte de la fauna berberisca, elemento al que pertenecen tambien los géneros Paraechinus, Gerbillus, Jaculus et Scirtopoda, el chacal, la hiena rayada y otros mamíferos. " |
Fichtre !!! La première fois que l'on lit cet article, on a l'impression d'avoir trouvé le Graal du Furet o) ! Rationnellement, plusieurs observations s'imposent. Peut-on prendre cet article au sérieux ? tout à fait, sinon il n'aurait pas été publié dans le Boletin de la Real Sociedad de Historia Natural, mais dans un obscur et fumeux opuscule... je vois donc mal une affabulation. L'auteur a d'ailleurs publié entre autre, deux ans plus tard, une synthèse sur les mammifères du Maroc, et qui a fait date. Ad minima, qu'a observé le Dr Cabrera ? Que l'on utilisait des furets pour la chasse au Maroc. Qu'a-t-il recueilli ? Des témoignages crédibles et recoupés comme quoi ces furets seraient d'origine sauvage. Attention : Il n'y a pas eu donc d'observation directe en milieu naturel de ces mystérieux furets, ni d'images comme preuve irréfutable ! ...Et a fortiori d'analyses génétiques, pour comparer cette population à celles connues de furets ou de putois o). Qu'en conclu l'auteur -et c'est là que je serais le plus prudent- ? Que les montagnes d'Afrique du Nord sont bien le berceau géographique du Furet, comme cela se dit depuis l'Antiquité, et que dans les années 1930 il n'en reste plus -et rarement- que dans le Rif occidental. Hors, qu'il y ait des furets à l'état sauvage dans cet endroit est une chose, mais en conclure que c'est l'aire originelle est autre chose : l'auteur n'a pas pensé aux cas des furets néo-zélandais importés et retournés à l'état sauvage. Cette "casi exception" néo-zélandaise a réussi grâce aux conditions climatiques favorables, à l'abondance de proies et surtout la carence en prédateurs. Tel semble aussi le cas de l'Afrique du Nord à la faune bien décimée depuis l'Antiquité ; côté proies virtuelles, il existe aussi dans les montagnes marocaines une espèce d'écureuil terrestre... ça ne vous rappelle rien ? Il peut tout aussi bien s'agir d'une variété méridionale de putois, à pelage clair identique au furet : la comparaison avec le cas du Putois des Steppes a montré qu'il faut se méfier des apparences : pour beaucoup au XX° Siècle, le Furet a paru se rapprocher plus extérieurement du Putois des Steppes (Mustela Eversmanni) au pelage clair du que du Putois d'Europe (Mustela Putorius)... sauf que les études génétiques ont prouvé le contraire ! (je vous renvoie à la page d'Histoire Naturelle). Le Dr Cabrera a donc plus ouvert une piste de recherche que clôturé un débat. Quoiqu'il en soit, il faudrait des indices archézoologiques pour assurer de l'ancienneté de l'établissement du furet en Afrique du Nord (ce qui n'est pas du tout le cas, on a déjà assez de mal à le faire pour l'Europe o) !).
Gorges du Lau, N.O. de la zone, (photo A. Dardar) |
La clé est peut-être dans cette question de
l'albinisme, absent semble-t-il de ces population et si banal en Europe, et qui a achevé de convaincre Angel Cabrera. Il est clair que même si le furet présentait par rapport à d'autres espèces une tendance plus marquée à l'albinisme, il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une tendance entretenue volontairement par des siècles d'élevage (pour des raisons de commodité à la chasse dont on aura l'occasion de reparler pour le XIX° Siècle) ; l'albinisme est un gène récessif qui s'il n'est pas artificiellement entretenu par la sélection d'élevage va tendre à s'effacer. Donc cette population de furets marocains serait séparée de la population de souche européenne de beaucoup de générations, si on se base sur les observations de notre article... Peut-être le Dr Cabrera avait-il raison (et le fait est qu'il se rajoute à un ensemble d'indices qui pointent vers le Maghreb), mais les preuves scientifiques manquent pour que sa démonstration soit irréfutable ; d'ailleurs son article était autant un appel à continuer ses explorations, ce qui n'a pas été réellement fait et peu étonnant quand on sais ce qu'il c'est passé les années qui ont suivi en Espagne... Pour la postérité, no problemo, il est cité comme base et exemple dans les grandes synthèses sur la faune marocaine (Panouse 1957, Aulanier et Thévenot 1986). La carte plus précise des lieux évoqués dans l'article est disponible sur ce lien. Maintenant, si vous avez une paire de jumelles et un téléobjectif, vous savez où aller faire de la randonnée ! o)
De R. Thévenin
: L'origine des animaux domestiques, un Que-sais-je (n°271) de
1947 réédité en 1960. C'est grâce à lui que j'ai eu la première référence
à Cabrera ...même si elle était notée on ne peut plus sommairement ! o)
La collection "Que-sais-je" faite de centaines de petits
fascicules pour répondre à une question, est bien connue depuis des
décennies, autant pour son prix minimum que pour le choix maximal sur la
qualité universitaire des auteurs de ses volumes. Encore qu'aujourd'hui la
multiplication des titres ait amené quelques ratés et auteurs douteux (comme
le volume sur les Animaux de Compagnie réalisé dans les années 90 par des
chargés de communication de l'A.F.I.R.A.C.)... Tel n'était pas le cas à
l'époque, dans ce titre avec la renommée du Pr Thévenin à l'époque ;
mentionné et par R. Delort et par JP. Digard, il a résumé assez bien l'état
de la question pour la bibliographie française jusqu'aux années 60. C'est au
chapitre V que le furet est traité, au § "c)" (les
prédécesseurs du chat et divers carnivores) ; après la belette et la
genette, et juste avant de parler de la mangouste et de la loutre, s'attelle au
furet aux pages 48-49. Le mérite de Thévenin est surtout d'être clair dans ses positions. Il
reprend d'abord bien sûr les positions de Strabon, Buffon, et Miller qui
faisaient osciller le débat pour situer l'origine du furet en l'Afrique du Nord
ou en Eurasie, et en descendance de Mustela Putorius (du putois
européen) ou de Mustela Eversmanni (du putois des steppes). Mais c'est
pour ensuite citer les expéditions et conclusions d'A. Cabrera des années 20
sur les furets présents dans les montagnes isolées du Rif marocain ; et là,
c'est pour marquer son adhésion aux conclusions de l'auteur espagnol en voyant
bien le Maghreb comme patrie originelle du furet. Et il faut souligner que la référence
à Cabrera est une constante de la bibliographie française sur le furet ;
même avec une distanciation constante, il en restera la base jusqu'aux travaux
des années 80 ! Le grave problème de ce titre de Thévenin, car il y en a un,
c'est que l'indigence de sa bibliographie (24 titres pour toutes les espèces !
o) ne permet de retrouver de qui il parle, ni même de quoi... C'est par exemple
très dommageable pour les cas des colonies de furets sauvages qu'il
évoque aux îles espagnoles des Canaries et des Baléares : " A
peine quelques auteurs font-ils observer qu'aux Canaries, aux Baléares, en
Espagne des furets échapés se sont reproduits en liberté et constituent au
moins des races géographiques qui ont gardé les caractères types. "
(p.48). On remarquera que l'archipel canarien fait originellement partie e
l'ensemble géographique et culturel berbère dont il était inplicitement
question chez Cabrera, mais bon... Le premier cas ressemblant
à un scoop manifestement peu repris par la bibliographie ultérieure, et même
pas par le département de la chasse et de la pêche de l'Etat de Californie,
dont le site du service de la conservation des habitats naturels (Habitat
Conservation Planning Branch) est pourtant connu pour dresser une liste
impressionnante de cas de colonies de furets sauvages (avec la plus grande malhonnêteté
intellectuelle en détournant des citations de leur sens et pratiquant de bons
amalgames bien flous), mais rien sur les îles Canaries...
L'article de Clifford Owen est incontournable : " The domestication of the ferret ", in The domestication and exploitation of plants and animals publié chez Aldine-Atherton en 1969. Il aura fait du chemin celui-là : pour avoir cet article au P.E.B. il a fallu faire une demande à l'étranger, ça a fait Bordeaux I-Paris X (où le livre a disparu)-Amiens-Zürich !!! Je tenais vraiment à l'avoir, car beaucoup d'affirmations demeuraient bien mystérieuses sur les documents anglo-saxons ("mais d'où tiraient-ils ça ?" o)) ; la mention de cet article d'Owen se trouvait sur la somme de Jean-pierre Digard de 1990 (L'Homme et les animaux domestiques, Anthropologie d'une passion). Effectivement, on en a pour son argent en y trouvant des références qui ne sont pas ailleurs. Le type de texte ? Ben, simplement un article issu d'une monographie essentiellement consacrée à l'histoire de la domestication, faisant 5 pages. Qu'à voulu faire Owen ? Au début de l'article, il est très clair ; le but principal de l'auteur était d'inciter les archéologues à se pencher sur le cas du furet : " This communication suggests ways in which attention to the problem by archaeologists might be of real value ". Rappelant que les trois voies d'études habituelles de l'histoire de la domestication passent par les disciplines zoologiques, historiques, et archéologiques, il remarque en 1969 que dans le cas du furet seules les deux premières avaient été explorées ! Oups ! ...il y a comme un oubli.
Justement, pour rafraîchir la mémoire, Owen fait le rappel des données historiques (aux 2 premières pages) puis zoologiques (un bref paragraphe p.491) existantes, avant de faire le point sur le néant archéologique de l'époque et de lancer des propositions, sur les deux dernières pages. L'article est organisé d'un bloc d'une vingtaine de paragraphes. Du contenu, pour ce qui est du survol de l'état des connaissances historiques, il y a beaucoup de choses connues et récurrentes dans la documentation sur le furet : les textes de Strabon, Pline, Isidore de Séville, Gaston Phoebus, Conrad Gessner, les illustrations du Psaumier de la Reine Marie, et la législation et l'introduction du furet en Grande-Bretagne. On aura l'occasion de reparler de tout ce monde ! o). Il n'a pas non plus oublié de poser la question de l'albinisme, qui pourrait être un bon traceur historique tellement ça a collé pendant des siècles à l'image du furet... au point de considérer généralement jusqu'à l'époque contemporaine que seuls les albinos étaient des furet purs, non croisés avec des bêtes sauvages. Côté Zoologie les choses sont plus brèves : le rappel de la proximité avec le putois, de l'existence de ses deux espèces, de l'hypothèse séculaire (entre nous déjà réfutée par Geoffroy St-Hilaire et à laquelle n'adhère pas l'auteur) d'un ancêtre disparu du côté du Maghreb, et des travaux de M. Rohrs et de U. Rempe (cf. page d'Histoire Naturelle) sont les seules données invoquées.
Tout ça sans s'étendre particulièrement. Sur un point particulier, la référence allemande n'explicite pas l'histoire de l'Empereur Frédéric II qui aurait connu le furet. Alors, où est le plus intéressant chez Owen ? Hé bien deux renvois à des textes très précieux. D'abord la référence (presque) précise à J. Lydgate et son " Siège de Thèbes " médiéval. Et alors surtout la référence à l'histoire de Gengis Khan , particulièrement creusée avec références bibliographiques bien sûr mais aussi localisation géographique, survol des transcriptions successives, et interrogation d'orientalistes ; on en reparlera en détail dans la page d'Histoire Médiévale.
Et évidement, il y a aussi ce qui lui est spécifique, la question du furet dans l'archéologie ; et là, il fait très fort. Clifford Owen se lance sur pistes du matériel archéologique et de sa "remarquable absence". Les os d'abord, où il commence par un appel au signalement. L'auteur explique le problème pour retrouver les petits restes de furets : "[...] first, many archaeologists do not save small bones or may not record adequately -this practice, though diminishing, regrettably persists " ; à la fin des Années 60 perdurait encore des mauvaises habitudes de fouilles de l'Archéologie d'autrefois, comme de ne pas traiter des éléments comme les petits os. Deux très bonnes remarques aussi, pour regarder du côté des terriers : d'abord sur le caractère spécifique du contexte archéologique des terriers, peu susceptible d'être contaminé sur le plan de l'archéométrie par des couches ultérieures ; et ensuite sur l'association aux ossements de lapin. Des objets du furetage, je n'ais pas encore trouvé grand-chose dans les écrits sur l'historique du furet, et pourtant... Des filets et des muselières, il faut déjà écarter ce qui est fait avec des matières périssables, ce qui fait déjà beaucoup ! Il passe aussi très rapidement sur les sacs à furets et les boîtes, pourtant identifiables ; le problème est le même pour les morceaux de liège utilisés au Maroc pour retrouver son furet. C. Owen s'attarde plus sur les grelots -dont on a plusieurs mentions pour le furet au Moyen Age- tout en soulignant la difficulté à distinguer grelots de furetage, de fauconnerie, et d'habillement. Les muselières métalliques sont connues de l'auteur (vous pouvez d'ailleurs en voir une au chapitre chasse en Histoire Contemporaine), sauf que ces exemples concernent l'Allemagne et l'Angleterre. En tout cas elles semblent poser un problème de datation, beaucoup d'exemplaires identifiés ne datant que du XIX° Siècle ! Des outils métalliques de creusement, on peut en retrouver, mais gare au contexte de découverte par rapport à un usage agricole ou de chasse au blaireau... Le constat de l'auteur reste ouvert malgré ses réserves : " Objects wich could be associated with ferreting are not many and their identification are difficult. " ; c'est à dire qu'il n'y a pas trente-six objets utilisés dans le furetage et que leur utilisation spécifique pose problème. Owen a gardé le meilleur pour la fin, et ça il fallait y penser : le logement du furet ! A notre époque où les trous de poteaux sont devenus le BA-BA de l'archéologue, on se dit que rien n'est impossible. L'auteur savait bien que traditionnellement on gardait les furets dans des clapiers en bois ou des tonneaux. Mais il donne un exemple très précis et détaillé en Histoire Moderne d'une pièce faite spécifiquement pour les furets par un propriétaire de garenne à Naworth Castle (Angleterre du Nord) en 1622, exemple de ce qu'il voulait inciter à rechercher. On en repparlera sur la page d'Histoire Moderne. Comme autre lieux à fouiller, il insiste aussi sur les garennes artificielles, avec la marque anthropique que ça suppose.
Ca peut paraître logique, mais il a été le premier à dire tout cela. Évidement, il est de son époque : il y a eu depuis des études génétiques et surtout archéologiques, on a bien retrouvé des restes de furet en Belgique et en France (cf. page d'Histoire Médiévale) ; il aura été entendu au moins par les archéozoologues. Pour la postérité, Clifford Owen n'avait pas de soucis à se faire ! o) L'intérêt de son travail est tellement évident qu'il n'est pas besoin de la souligner. Des quatre sources présentées dans ce chapitre du site, il a été la plus utilisée et ré-utilisée dans les livres et sites sur le furet comme pour la W.F.U., que ce soit directement ou indirectement... A force de faire des reprises de reprises sans citer de bibliographie, son nom est souvent passé à la trappe ; un site où je me rappelle sa mention est le très sérieux site américain Weaselwords, dans un article historique du Dr Susan Brown. Des défauts ? Ben la bibliographie est un peu légère (15 références), même pour un article de recueil et non publié dans une revue scientifique ; les références pourraient être parfois plus précises si l'on veut chipoter. Mais le gros point noir reste surtout l'absence incompréhensible d'A. Cabrera dans ces références, tout en citant le furetage contemporain dans le Rif... Dommage par rapport à la pertinence du reste.
Et un auteur incontournable : J. Clutton-Brock avec Domesticated of Early Animals from early times, paru chez Heinemann en 1981. Par rapport à la liste des auteurs cités avant, en voici une qui présente la particularité d'être encore vivante au moment où j'écris, bien que retraitée de la vie universitaire ! o)
La qualité de l'auteur et notoriété de l'auteur est immense bien au delà de la Grande-Bretagne, dans son domaine de l'archéozoologie ; elle est aussi l'auteur d'ouvrages de vulgarisation et de Natural History of Domestic Animals en 1999, qui fait une reprise de l'ouvrage pré-cité. Dans les débats taxonomiques autour du furet (Mustela putorius furo ou Mustela furo), c'est aussi l'une des partisanes de la dénomination en Mustela furo. Je n'ai ni le temps ni la place ici de parler de toute ce qui a trait à la domestication et l'archéozoologie en général dans son livre, mais on peut au moins signaler qu'avec schémas, son livre explique particulièrement bien la question de la néoténie (perpétuation de caractéristiques juvéniles à l'âge adulte) qui est l'une des marques typique de l'hominisation et du caractère domestique d'une espèce animale.Ce qui nous intéresse ici est fans son chapitre 15 " the rabbit and the ferret ", Juliet Clutton-Brock faisant partie des auteurs qui ont cherché les trace du furet dans celles du lapin même si taxonomiquement ils n'ont rien à voir entre eux, ente un Carnivore et un Lagomorphe. Son point de vue est très clair dès le début " [...] the ferret would never have been such a wide-spread domestic animal if it were not for the rabbit. " (le furet n'aurait jamais été un animal domestique si répandu s'il ce n'avait pas été pour le lapin). Il est vrai que par rapport aux partisans de la dératisation comme cause de la domestication du furet, j'estimez aussi qu'il y avait d'autres solutions domesticatoires pour dératiser, alors que pour lutter contre le lapin la solution du furet est spécifique... Il y a aussi une idée intéressante dont en reparlera aux chapitres suivants, la comparaison avec les oiseaux de proie dans le processus domesticatoire " [...] this carnivore was manipulated so that it would hunt its natural prey not for its own food but for the benefit of man - a most cunning arrangement " (ce carnivore a été utilisé de sorte qu'il chasse sa proie normale non pas pour sa propre nourriture mais au profit de l'homme - un arrangement des plus adroits). L'idée est que la domestication du furet ne reposait pas sur un remodelage de l'animal comme chez d'autres espèces, mais sur un simple détournement de ce qu'il faisait dans un état sauvage. Une chose aussi m'aura paru "bien vu" par J. Clutton-Brock, à savoir de considérer comme premier texte historiquement sûr sur le furet celui de Pline, et non pas celui de Strabon dont on en reparlera plus bas (mais méconnaissait-elle celui de Columelle, antérieur de quelques années à Pline ?). Le principal regret que l'on pourrait avoir, c'est que les 3/4 du chapitre sont consacré au lapin et seulement 1/4 pour le furet ...mais c'est aussi un reflet de l'état de la documentation, beaucoup plus abondante dans l'histoire de l'Homme pour le lapin ! Mais de toutes façon rappelons-le, l'histoire de la diffusion du lapin nous apporte "en creux" des informations pour le furet.
L'entrée en matière est bien singulière, avec la citation de l'article " ferret " de l'Encyclopaedia Britannica qui montre bien une certaine méconnaissance traditionelle de l'animal et le problème des informations de seconde main, reprises de dictionnaires en dictionnaires quand les gens ne se foulent pas dans le travail ; on reparlera de ça dans la page d'Histoire Moderne du site... " [...] the ferret is an animal that althrough exhibiting considerable tameness, seems incapable of attachement and when not properly fed or when otherwise irritated is apt to give painful evidence of its native ferocity. In a word, it is not a trustworthy pet but is a useful partner in the hunting of rabbits and rats. " (le furet est un animal qui bien que montrant un apprivoisement considérable, semble incapable d'attachement et quand il n'a pas été correctement alimenté ou quand il est irrité pour d'autres raisons, cela met en évidence sa douloureuse férocité originelle. En un mot, ce n'est pas un animal de compagnie digne de confiance mais un associé utile dans la chasse des lapins et des rats). On n'a l'impression qu'on ne parle pas du même animal que connaissent les maîtres de furets de compagnie, mais j'ai retrouvé ce genre de discours dans plein d'autres vieilles encyclopédies en Europe (et je n'ai dis de la vieille Europe) ! Bien sûr, l'auteur décrit utilisation cynégétique traditionnelle du furet que l'on connaît. Alors, sur le fameux problème de la tradition de l'origine Nord-africaine du furet de Strabon à Linné (de l'Antiquité à l'Époque Moderne) et par rapport à la distribution de ses deux ancêtres sauvages possibles, elle ne prend pas partie entre le putois des Steppes et le Putois Européen ; et ce, au couvert du fait que ces deux espèces de putois sont très proches " In their skeletal characters the ferret and these two species of polecat are very similar and there are differing opinions about wich are the closest in osteiological features. " (dans leurs caractères ostéologiques, le furet et ces deux espèces de putois sont très semblable et il y a des avis différents au sujet de leurs rapprochements dans les dispositifs ostéologiques). La question de l'albinisme ne fait pas non plus avancer notre affaire dans ce texte-là... Quand à la comparaison furet/putois, elle est en faveur du putois avec une argumentation " à la Buffon " sur la dégénérescence physique de la domestication. Mais la fin du chapitre laisse un goût désagréable attentes par rapport à un carnivore social comme le chien sur l'achèvement domesticatoire du furet aux restes de sauvagerie dans son comportement : " [...] it would not be expected that they could be tamed in the way that can be achieved with a social carnivore such a dog. Theys always remain erratic and recalcitrant in their behaviour " (on ne s'attendrait pas à ce qu'ils puissent être apprivoisés de la manière qui peut être réalisée avec un carnivore social tel que le chien. Ils restent toujours erratiques et récalcitrants dans leur comportement). Voilà qui va surprendre les masses de propriétaires de furets "collants" qui font souvent la comparaison par rapport au comportement indépendant de leurs chats... L'auteur n'aurait-elle pas lu Mégnin ou d'autres précurseurs ? o) C'est entre autre pour ça qu'il faut savoir ce qu" J. Clutton-Brock a écrit en 1999, pour en voir l'évolution : ça sera fait pour le mois de mars, affaire à suivre...
PROCESSUS DOMESTICATOIRE :
ouvrages de l'anthropologue J.-P. Digard Les français et leurs animaux : anthropologie d'une passion, sorti chez Fayard en 1999 qui avait été précédé dix ans plus tôt de L'Homme et les animaux domestiques, au même éditeur en 1990
La civilisation occidentale a une chance : celle d'avoir en héritage une documentation écrite abondante (mais lacunaire pour les historiens) depuis plus de 2 500 ans. Sur toutes sortes de sujets, les grands genres de l'écrit et de la catégorisation de l'esprit sont
déjà fixés dès cette époque. Le passage de l'explication mythique à l'explication scientifique a aussi servi la zoologie, nous fournissant les premières informations sur le furet.
ÉGYPTE ET FURET : Je ne devrais même pas avoir à en parler. Seulement, comme il y a beaucoup de sites américains sur Internet, vous risquez comme moi de tomber là-dessus. Quand on ne sait pas expliquer quelque chose, paf! : l'Égypte ! C'est magique et ça plait beaucoup outre-atlantique ; même des sites "sérieux" mentionnent l'origine égyptienne du furet, en la mettant heureusement au conditionnel "probably domesticed by the egyptians" comme on trouve sur le site de refuge S.T.A.R. Ferrets.
Le furet, pas plus que le putois d'Europe, n'est un animal de pays chaud. C'est un animal de pays tempéré, qui souffre d'hyperthermie au delà de 32° : vous l'imaginez en Égypte ? Pas de trace du furet dans les textes, pourtant nombreux. Encore plus fort, pas de trace du furet dans l'archéologie ! Au vu du système religieux des égyptiens, et de tout ce que l'on a pu retrouver de leur vie quotidienne (j'insiste sur "vie quotidienne"), des conditions exceptionnelles de conservation archéologiques dans ce pays, des habitudes de domestication d'animaux aujourd'hui considérés comme sauvages (comme le guépard), il paraît bizarre que l'on n'ai pas trouvé la trace du moindre furet... Sur quelques peintures murales comme à Saqqarah, on voit bien effectivement un petit animal à la tête de Carnivore, aux pattes courtes et au corps allongé, mais avec un pelage de type tigré. Rien à voir avec le furet. Trois hypothèses ont été formulées sur cet animal, car il faut savoir que l'art égyptien stylise (modifie si vous voulez) les éléments qu'il représente : ce n'est pas un art réaliste au sens de l'art greco-romain. Pour ceux qui s'intéressent à ces questions, il existe le beau livre de P. Germond et J. Livet le Bestiaire égyptien, qui date de 2001. Donc, cet animal pourrait être : 1) Une mangouste ; les égyptiens en domestiquait et la mangouste d'Égypte nous est aussi connue par les textes grecs (Hérodote, Aristote, etc.). 2) une genette ; cet autre viverridé était utilisé comme dératiseur domestique dans la Libye voisine et a été identifié dans l'art grec. 3) Une belette d'Afrique du Nord (Mustela numidica) connue au Maghreb, plus grande et de livrée différente que la belette européenne. Si vous ne croyez pas les historiens quand au caractère apprivoisable de la mangouste, voyez aujourd'hui le site belge
Une mangouste à Bruxelles ! o) Personnellement, je ne vois pas pourquoi les égyptiens auraient utilisé des fufus alors qu'ils avaient déjà les chats et les mangoustes comme dératiseurs (quand ils ne plaçaient pas des serpents!) agricoles et domestiques...Statuettes de mangoustes, Louvre, (cliché personnel). |
La photographie que vous voyez ci-haut a été prise au musée du Louvre (la photographie y est autorisée, ça nous arrange bien) dans la salle 19 des Antiquité Égyptiennes, celle des momies animales et des sarcophages d'animaux. Datant des dynasties tardives, ces deux statuettes sont en bronze et montrent des prêtres en adorant devant (ou derrière) une mangouste. Celle de gauche fait 26 cm, et la mangouste, sortant d'un lotus, porte un disque solaire. On en trouve aussi en peinture, comme à Gourna (tombe Menna 69, XVII° dynastie). Au plan religieux, notre mangouste Ichneumon est un attribut de la déesse Maât -comme la musaraigne-, du "côté clair" (du jour, de la création, de l'équilibre) et plus spécialement dévoreuse des créatures du "côté obscur" (de la nuit, de la destruction, du chaos) ; ces créatures croquées sont respectivement les serpents/rongeurs et insectes, attributs de Seth et Apopis. A sa façon, l'ichneumon est garant de l'ordre cosmique ; il est parfois aussi l'image de la déesse solaire Ouadjit. Géographiquement, son culte est plutôt du plutôt du nord de l'Égypte (comme à Létopolis dans le delta du Nil) ; mais en tous cas, pas de furet à l'horizon !
DES FURETS AU PROCHE-ORIENT ? Là aussi, il y a erreur. On va dire que je tape encore sur les américains °), mais ce n'est pas de ma faute si les gens écrivent n'importe quoi ! Ce peuple a une culture traditionnelle très biblique et an-historique. Dans certains traduction de la Bible -Ancien Testament- en anglais, on trouve mentionné le "furet" (ferret) dans le Lévitique (chap. 11, 6, 30) : c'est simplement une erreur de traduction (références dans la FAQ d'Histoire naturelle, Q.2). A partir de la version grecque, une erreur furet/lézard peut être possible à cause du mot galeh, polysémique. Comme on est censé avoir fait des progrès dans la rationalité depuis trois siècles, j'ai osé lire ! Dans la version catholique " officielle " la Bible de Jérusalem établie par l'École biblique de Jérusalem (édition 2000), cette partie cite les animaux impurs à la consommation. Le passage évoque les animaux qui vivent sous terre : rats, taupes (29), et lézards ; dans la demi-douzaine de lézard il y a le gecko (30), le caméléon et d'autres noms sémitiques. La présence du furet en Israël, ou tout autre état antique du Proche-Orient, serait quelque chose de contradictoire avec tout les types de données sur le furet.
En moins accentué, on retrouve le problème d'environnement climatique que j'ai évoqué précédemment : la côte Syro-palestinienne (où il y avait aussi la Phénicie) est proche de la ligne d'isotherme des 30° en Juillet... Sous ce type de climat, la niche écologique et le rôle domestique des petits mustélidés sont normalement occupés par les Viverridés (mangouste, genette). Seule la belette méditerranéenne peut supporter ce climat. Vous allez me dire qu'il y a aujourd'hui des furets en Israël (un site mentionné sur Ferret Central) ; oui, mais en animal d'intérieur, et en plus il faut voir le pourcentage d'apparts climatisés... Dans les textes antiques de la région -que vous cherchiez en phénicien, en hébreux, en cunéiforme ou tout ce que vous voudrez-, pas de références dans la bibliographie : c'est pourtant une des régions les mieux documentées (et qui a vu la naissance de l'alphabet) ! Question archéologie, c'est une des région du monde la plus densément fouillé (la mieux, ça c'est un autre problème) ; j'avoue ne pas avoir balayé les corpus archéologiques et archézoologiques de la région, mais si une découverte d'ossements de furet avait été faite, elle aurait déjà été signalée sur les bibliographies des ouvrages francophones. Si vous ne me croyez pas, demandez à un chercheur : vous avez la liste des labos sur le site du CNRS... en sachant que rien ne les obligent à répondre au grand public, ils ont leur travail à faire.
DE QUEL ANIMAL PARLE-T-ON ? Là, ça commence à devenir plus sérieux. C'est un peu prise de tête, je vous prévient. Histoire de mots... En Grec moderne, " furet " se traduit par " iktis ", mais d'une façon générale, les noms anciens des animaux sont mal fixés, c'est clair. . On est complètement déconcerté au début quand on recherche des textes grecs parlant du furet ; selon les ouvrages, leur discipline, ou leur date, on trouve des traductions différentes d'un même mot: aussi, il n'est pas évident de savoir si l'on parle bien d'un furet... ou d'une belette, d'une fouine, d'une genette, d'une mangouste, voire d'un chat ! Et les dictionnaires ne sont pas forcément d'un grand secours là-dessus. Couramment utilisé dans les universités, le dictionnaire bilingue Bailly (16° édition, 1950) traduit comme suit. Dans le sens grec>français : "galeh" ("galé") par "belette" (et par analogie un poisson de mer appelé mustèle), et "iktis" ("iktis") par "fouine" ; mais dans le sens français>grec : si l'on cherche "furet" on le trouve à... "iktis", "belette" à "galeh", et "fouine" par "iktis" !??? L'édition 2000 dit la même chose. Le grec ancien n'a donc pas de mot particulier pour désigner le furet, et un même mot peut être interprété différemment selon le texte et son contexte. Aille !
Écartons déjà les deux derniers. Le chat se dit normalement "aïlouros" (ailouros) et ne devrait plus être confondu avec notre mustélidé. A l'origine de la confusion : les grecs eux-mêmes... Le chat domestique était alors un animal exotique (oriental), d'où d'ailleurs les récits de trafics de chats d'Égypte via le Proche-Orient ; il remplissait la même fonction de petit dératiseur domestique que les belettes ou les furets. Ensuite la mangouste : comme il a été indiqué à propos de l'Égypte, là où certains on cru voir un furet, il s'agirait de la mangouste d'Égypte qui se dit "ichneumon" (icneumwn) comme dans un chapitre d'Aristote. Ces deux mots ne sont donc pas à traduire par "furet".
"GALE"ET "IKTIS" : Reste les deux mots traduisibles par "furet" qui sont au coeur du problème : "iktis" (iktis) ou "galé" (galeh) ? Généralement, l'usage est de traduire "galé" par "belette" et "iktis" par "furet" : on le tient ? Pas si simple ! Comme on va le voir dans les textes, quand Aristophane en -400 av. jc parle "d'iktis" on l'interprète comme "fouine", et quand Aristote en -330 av. jc parle de "galh" on l'interprète comme "furet" ! Mal à la tête ? En terme de citation littéraire, les références ont déjà été répertoriées, ce qui doit permettre avec l'aide du contexte du texte, de permettre de comprendre de quel animal il s'agit ! Pour "iktis" (toujours traduit par fouine), on ne trouve que deux mentions : dans Aristophane (Les Acharniens, 880) et dans Aristote (Histoire des Animaux ; 9,6,11). Le mot "galé" est plus courant dans la littérature grecque, avec six mentions. La liste des textes : Aristote (Histoire des Animaux ; 6,37, 4) ; La Batrachomyachie (9, 51, 114) ; Dioscoride d'Anazarba (fragments ; 2, 37) ; Hérodote (Histoire ; 4, 192) ; Strabon (Études géographiques ; 3, 2 , 6) ; Théocrite de Syracuse (fragments ; 15, 28). Ce terme a une plus grande valeur polysémique que le mot iktis ; dans le Bailly, on trouve deux sens principaux pour galh (animal terrestre et poisson de mer) avec trois sens secondaires comme animal terrestre. Premier sens (et usage théoriquement le plus courant) : "belette" ; c'est le sens qu'aurait pu utiliser Hérodote. Deuxième sens : "putois, martre ou fouine" ; les textes d'Aristote, de Dioscoride et Strabon sont classé dans cette catégorie à forte confusion, où pourrait se glisser le furet. le troisième sens de galh est "chatte", qui concernerait le texte de Théocrite. Je ne serait pas étonné que ce mot est une valeur de désignation générale pour les petits mustélidés, comme on dirait aujourd'hui "un rapace" ou "un rongeur".
La solution viendrait-elle d'ailleurs ? Le pays leader de la recherche en Histoire Ancienne, c'est encore l'Allemagne depuis le XIX° Siècle. Dans le Griechich-Deutsches Handwörterbuch de W. Pape (1880), galeh est traduit par furet (frettchen) avec le qualificatif agria, et iktis par putois (wiefelart). Et en anglais ? Le " Greek-english lexicon " de Liddell et Scott (1996) donne martre (breaded marten) pour iktis, et selon les textes "du genre de la belette" (weasel kind) et furet sauvage (wild ferret) pour traduire galeh. En latin il existe une somme imposante : le Thesaurus Graecae Linguae d'H. Stéphano (1831) ; il traduit selon les textes iktis par belette sauvage et domestique (mustela sylvestris et domestica), et galeh par belette (mustela) et genre de la belette (modo mustelam). On fait l'étymologie ? Allez ! Si on consulte le Dictionnaire Étymologique de la Langue Grecque de P. Chantraine (1968), iktis par martre et galeh par " noms de petits animaux : belette, martre, etc. ". Pour l'origine de ces deux mots, le suffixe " eh " rend probable le lien avec la peau de l'animal pour galeh (logique pour des mustélidés) ; iktis aurait un rapport probable avec ikteros (jaunisse), par un radical commun exprimant le jaune. Moi en tout cas, je connais un animal dont la fourrure jauni : c'est le furet... Si vous restez connectés, vous trouverez dans cette rubrique les quatre premiers textes que j'ai étudié, en attendant mieux. Au delà, je n'en pense strictement rien : ce n'est pas avec un an de Grec ancien qu'on peut s'en sortir !
MYTHOLOGIE : On parle bien de galeh dans la mythologie grecque, à propos de deux mythes : celui du Basilic, et l'histoire de Galanthis. Selon la tradition, le Basilic ("roi des serpents") était un serpent d'une taille d'un mètre, avec des plumes et des extrémités de coq ; il naissait d'oeuf de serpent couverts par des grenouilles. Son danger venait surtout de son souffle venimeux, pouvant atteindre mortellement à distance tout agresseur. Tous, sauf un : notre petit carnivore, immunisé contre ce souffle, aussi souple que rapide, l'attaquait à la tête et était le seul animal capable de tuer un Basilic ! On trouve là une légende similaire aux traditions orientales parlant de la mangouste tueuse de serpents, ce viverridé remplissant dans les pays chauds ce rôle de "serpent-killer" de nos petits mustélidés en pays froids.
La légende de Galanthis est elle liée à l'une des innombrables "aventures" de Zeus. Elle nous est parvenue notamment par Ovide (Métamorphoses). Toujours très amateur de mortelles, le Dieu avait encore trompé son épouse et déesse Héra, avec une femme nommée Alcmène. Dans un but sérieux d'ailleurs, il s'agissait de mettre au monde un héros qui aiderai les Dieux dans les conflits à venir. Almène tomba enceinte, et Zeus annonça la nouvelle... Héra, tout aussi célèbre pour sa jalousie, décida de se venger en envoyant Ilithye -déesse des accouchements- empêcher cette naissance. Ilithye se croisa sur le seuil, bloquant la venue du bébé pendant plusieurs jours. Alcméne fut sauvée in extremis par sa servante Galanthis, qui déjoua le stratagème : elle cria l'annonce de l'accouchement. Surprise, Ilithye se délia pour accourir voir ; et le bébé vint au monde. De colère, Ilithye changea immédiatement la pauvre Galanthis... en "galé". Le nom du beau bébé ? Héraclès, tout simplement !
D'APRÈS LES TEXTES : Les version des textes reproduits sont toutes issues de la même collection de textes anciens, utilisés en milieu universitaire. Il s'agit de la Collection des universités de France, aux éditions des Belles lettres ; on y trouve les textes grecs ou latins en bilingue (pages originale et française en vis-à-vis). Ces traductions ne sont pas toujours récentes mais font généralement autorité. Comme souvent pour l'étude de l'histoire des animaux, les sources grecques retrouvés traitant de notre bestiole sont très variés : traités zoologiques, géographiques, pièce de théâtre, etc... Et surtout peu rapides a trouver °) ; il n'y a pas forcement un index rerum (de "choses") pour chaque ouvrage, on peut même dire que c'est l'exception. Si vous n'êtes pas d'accord avec la traduction, vous avez le texte original pour vérifier.
ARISTOPHANE est l'un des plus célèbre auteur de comédie grecque (on parle de la Comédie Ancienne, chronologiquement le plus ancien mouvement de comédie). C'est un athénien contemporain de la Guerre du Péloponnèse (la grande baston Sparte/Athènes) au V° Siècle avant jc. Auteur d'une quarantaine de pièces, il a connu de son vivant le succès populaire et littéraire (plusieurs prix remportés). quand je dis succès populaire, par moment, c'est vraiment lourd... La comédie, c'est probablement ce qu'il y a de plus délicat à traduire ; outre les problèmes habituels, il faut se méfier du sens comique : sens allusif, caché, humour venant du décalage entre ce qui est dit et ce qui devrait être. Donc, attention !
Les Archarniens font partie des onze pièces qui nous sont parvenues ; troisième pièce d'Aristophane, elle a été présentée en -425 et a remporté le 1° prix aux Fêtes Lénéennes. Pour résumer, c'est un plaidoyer courageux pour la paix, qui décrit la situation d'Athènes et sa région à l'époque (Acharnes étant une circonscription frontalière). Dicéopolis, un jeune athénien, veut en vain discuter de paix et essaye de conclure une trêve personnelle, en bute aux acharniens. Aucun passage en français n'a contenu la traduction "furet" par H. VanDaele et V. Coulon de 1995 (3° édition) pour iktis ou galh. Deux passages contiennent ces mots. ne faites pas attention à la terminaison ! Le grec est une langue à déclinaison, et le mot varie selon sa place dans la phrase.
Dans le premier, "galas" a été traduit par "chattes". Curieux comportement pour un chat ! Ca ressemble plus à un comportement nauséabond attribué traditionnellement aux mustélidés (en 2000 ans, ça n'a pas beaucoup changé!), et la traduction la plus logique devrait être "belettes". Heureusement, une note du traducteur précise qu'il s'agit d'une expression familière d'association "petites filles" comme "chatons". Le chat domestique étant un animal exotique dans l'Antiquité Grecque, c'étaient les belettes?/furets? qui remplissaient leur rôle.
LES ACHARNIENS, 254 et 878. |
ACARNHS, 254 ; 878. |
DICEOPOLIS : " Heureux qui t'épousera et te fera des...belettes... qui seront aises autant que toi de lâcher des vents au point du jour." |
DI. : " os ma karios dotis o opuusei kakpohsetai ...galas... sou mhdeen httous bdein, epeidan epeidan orqros h. " |
LE THEBAIN : " Et voici, maintenant, ce que j'apporte encore : oie, lièvres, renards, taupes, hérissons, chats, hermines, fouines, loutres, anguilles du lac Copaïs. " | QH. : Kai man ferw canas, lagos, alwpekas, skalopas, ecinws, aielwrws, piktidas, iktidas, enudrias, egcelias Kwpaidas. |
Le deuxième passage de la comédie porte une liste de noms d'animaux, très intéressante. La traductrice parle de "fouine" pour iktis, ce qui ce conçoit, mais aussi "d'hermine" pour un nouveau mot : piktidas. Paf! : l'hermine est un animal encore plus septentrional que le furet ou le putois, dont la carte de distribution en Europe ne descend pas jusqu'en Méditerranéenne ! Tous les deux s'arrêtent aux Balkans (et le l'Hermine n'est même pas présente en Italie). La répartition a pu varier dans le temps, mais là il y a un vrai problème d'adaptation à l'environnement de la Grèce. Alors c'est quoi ce "piktidos" ? J'en sais rien... et le dictionnaire Bailly non plus ! Il y a une entrée à ce mot, pour dire "genre inconnu, animal inconnu, Aristophane 879". S'agirait-il d'un furet ? C'est fort possible, mais seul un universitaire pourrait vous répondre (j'attend un mèl). Une genette ? Ca serait "galé agriai" et "d'Afrique" en plus. L'histoire se passe pendant la Guerre, et le thébain rapporte des animaux sauvages et domestiques pas forcements ragoûtants (je ne connais personne qui ai mangé des taupes !) : c'est la guerre, quoi ! Donc plausible, pour manger du furet (sic!)...
ARISTOTE est le grand philosophe connu, macédonien du -IV° Siècle disciple de Platon, précepteur d'Alexandre, fondateur du Lycée d'Athènes, et auteur de nombreux traités philosophiques, politiques, juridiques, de rhétorique et poésie, et scientifiques (sciences de la vie). Une somme dans chacun de ces domaines ! Il écrit son Histoire des animaux après la conquête de l'Orient (-330 av. jc) par Alexandre le Grand qui lui permet de collecter à la source une somme considérable d'informations et de spécimens à étudier (aidé par le conquérant dans son étude). Sa méthode est très rigoureuse et critique, notamment vis-à-vis des auteurs antérieurs (comme les ragots sensationnalistes de Ctésias!), les sources bien citées. En zoologie on reconnaît comme ailleurs la cohérence de la pensé d'Aristote ; il a mis en place une systématique des animaux, basée d'abord sur l'anatomie. Il étudie méthodologiquement les organes et l'organisation des systèmes physiologiques. Les comportements vitaux (reproduction, prédation, etc.) ne sont ni oubliés ni mélangés. ce n'est d'ailleurs pas le seul livre sur les animaux : Aristote a également écrit plusieurs petits traités sur les animaux (sur la génération, la locomotion, etc.). Un tel esprit scientifique a marqué l'histoire de la pensée d'une manière phénoménale : jusqu'à l'apparition de la zoologie scientifique au XVVIII° Siècle, il est la référence zoologique. Il a été repris pour ne pas dire copié pendant des siècles d'Antiquité et de Moyen-age, et influencé les auteurs grecs, latins, arabes, et occidentaux médiévaux. Je n'exagère pas et vous avez compris l'importance de ce que peut dire Aristote...
HISTOIRE DES ANIMAUX, VI, 36 |
TN PERI TA ZIA ISTORIN, VI, 36 |
[des souris] " Les renards leur donnent également la chasse et les furets les font très bien disparaître quand ils tombent sur elles ; mais ils n'ont aucun pouvoir sur leur fécondité et la rapidité de leur reproduction." |
" qhreuousi de kai ai alawpekes autous, kai ai galai ai agriai malista anairousin, otan epigenwntai all ou kratousi ths polugonias kai ths tacugonias, oud all ouden plhn oi ombroi, otan epigenwntai. " |
C'est en parlant des "souris" (au sens large) et de leur capacité de reproduction que l'on retrouve la mention du furet. C'est souvent comme ça en Histoire, les informations sont "indirectes", au détour d'autres choses. Bien qu'Aristote ait dit "galai agriai", le traducteur l'a interprété par "furet" et ce texte est souvent considéré -à tord ou à raison- comme LA première mention historique du furet. Le texte dit que le "furet" est un dératiseur efficace, même s'il ne suffit pas à bloquer la pullulation des rongeurs. Cette traduction a été faite par P. Louis en 1968. J'ai consulté une traduction française plus récente par J. Bertier faite en 1994 : elle aussi le traduit par "furet". Un article de 1999 penche pour "belette". Pourquoi galai agria est traduit par furet chez Aristote et pas dans d'autres textes ? J'aimerai bien le savoir, justement. Pour l'adjectif "agrioi" (qui a donné agriculture), il y a deux qualifications possibles, qui recouvrent deux idées voisines. La première est "des champs" comme le rat des ville et le rat des champs de La Fontaine, ou le furet de chasse et le furet de compagnie. Le deuxième sens de l'adjectif pourrait être "sauvage", du style "le prédateur naturel des souris est le...". Dans l'idée de son texte, Aristote citait les différents moyens qui jugulent la pullulation de ces rongeurs (juste après ce passage il passe aux calamités naturelles). L'interaction humaine est présente dans l'histoire des animaux, qui traite même de l'homme en tant qu'espèce (encore une marque de l'esprit scientifique d'Aristote). Mais il ne dit pas explicitement "l'homme utilise" ou "on" utilise le furet, comme la marque du furet en tant qu'animal domestiqué. Pourquoi le furet aurait été cité dans la même phrase que le renard, animal sauvage dans toute l'Antiquité ? Tout cela n'est pas clair. On s'en contentera pour le moment, comme étant la première apparition traditionnellement admise du furet dans l'Histoire.
STRABON est un géographe grec d'Asie mineure (mer Noire) à la charnière du I° Siècle avant et après jc. Stoïcien de formation, il a voyagé dans de nombreuses provinces du monde romain. Il a fréquenté les meilleures écoles de recherche du temps (Alexandrie et Rome) et est introduit dans les milieux aristocratiques romains où son érudition était très appréciée. Strabon a rédigé un traité d'Histoire (perdu) et un traité de Géographie. Dans ses Géographie, il a dressé un tableau complet du monde romain de son temps. On y trouve beaucoup de choses : géographie physique, historique des lieux, monuments et études ethnographiques. Ses informations viennent de ses propres observations de voyages et des auteurs antérieurs. Ses sources semblent bien sélectionnées : essentiellement Posidonios (géographe grec qui l'a précédé d'un siècle et qui a voyagé en occident avant la Conquête romaine), secondairement Athénodore de Tarse et des sources romaines courantes plus récentes. Sa méthodologie est classique chez les géographes grecs : d'abord décrire le cadre géographique physique, puis le cadre géographique humain, pour les mettre en relation d'une manière déterministe. Son livre III traite de la Péninsule Ibérique et sa date de rédaction est connue au travers de mouvements de légions qu'il cite : sous Tibère, en l'an 17 ou 18 après jc. Strabon n'est pas allé lui-même en Espagne : il cite donc le livre (perdu) de Posidonios qui est allé sur place en Espagne du Sud et a ensuite accosté aux Îles Baléares.
GÉOGRAPHIE, III, 2, 6 |
GEWGRAFIKWN TRITON, III, 2, 6 |
" Mais contre les invasions normales, on a trouvé plusieurs genres de chasse. Les Turdétans y engagent notamment avec succès les chats sauvages que produit la Libye. Après les avoir muselés, ils les lâchent dans leurs terriers : si un chat saisi un lapin dans ses griffes, il le tire dehors ; s'il l'oblige à s'échapper par une autre issue, les chasseurs qui l'attendent le capture au moment où il sort de terre." |
" Kai muown twn arouraiwn, creia ths tosauths epikourias, pros de to metrion exeurhtai pleious qhrai. kai dh kai galas agrias, as h Libuh ferei , ferousin epithdes, as fimwsantes pariasin eis tas opas. ai d exelkousin exw tois onuxin, ous an katalabwsin, h feugein anagkazousin eis thn epifaneian, ekpesontas de qhreuousin oi efestwtes. " |
Le furet à Ibiza ? Dans cette partie de son livre, Strabon parle des Îles Baléares, qui comme le reste de l'Espagne étaient victime dans l'Antiquité d'un vrai fléau : le lapin. Cet animal est d'ailleurs à l'origine du nom "Espagne" ("terre des lapins"). Heureusement, il y avait plus de prédateurs et de pression humaine qu'il n'y en aura en Australie 18 siècles plus tard ! Avant ce passage, Strabon nous dit que cet animal ultra-prolifique représentait quand même une nuisance insupportable tant par ses déprédations agricoles que par leurs creusements de terriers qui provoquaient des effondrements d'installations humaines. Dans ce texte, sont évoquées les différentes solutions humaines au problème qui se pose aux Baléares, dont la chasse. Strabon indique à titre d'exemple ce que font avec succès les Turdétans (habitants de l'Espagne du Sud) en faisant des chasses dans les terriers avec leurs "chats". Et ce comme un moyen ordinaire, usuel. Depuis le début, cette histoire m'intrigue : drôles de chats que ces chats muselés que l'on lâche dans les terriers !!! Du peu que je connais des chats, avec leur face ronde avec si peu de relief, la conception d'une muselière est une vraie gageure, "de Libye" ou pas. Mais en plus les faire chasser comme ça, rentrer dans des terriers, j'imagine mal la scène. A fortiori avec des chats sauvages qui sont vraiment arboricoles ; de toute façon je vois mal ce que l'on peut faire avec un chat sauvage (absolument indomesticable). Au vu de la qualité du travail de Posidonios (par exemple recoupé par césar pour la Gaule), on imagine mal une erreur grossière de l'auteur ! Comme Aristote, Strabon parle de "galas agrias", mais le traducteur F. Lasserre (la traduction date de 1966) l'a traduit par "chat sauvages". Par analogie avec Aristote et un texte romain dont je vous reparlerait, pourquoi ne pas penser à des furets ? Certains y ont cru.
Quel est cet animal ? Fouine, furet, genette ? Impossible pour l'instant d'avoir une photo de meilleure qualité... (détail ci-bas)
Cratère en cloche lucanien, atelier de Créuse et Dolon, 370 av.JC. ; 23 cm, Royal Athena Galleries, États-Unis.
La réponse est venue pendant mes recherches bibliographiques : il existait un article scientifique sur le sujet ! L'article est de Suzanne Amigues est paru dans la revue Anthropozoologica, n° 29, en 1999. Son sujet principal est de traiter d'un passage d'Hérodote sur les "belettes" de Tartessos (nom ancien de la Turdétanie). Je n'avait même pas imaginé une seconde la solution : il s'agit de genettes, viverridés (proches des félins) alors couramment domestiqués en Libye, diffusées, et appelées (faute de nom spécifique) "belettes" ou "chats" par analogie. La technique de capture redevient alors plus plausible : un furet s'aide de ses griffes dans la capture, mais fait la saisie avec sa gueule ; il ne peut pas la "tirer avec ses griffes" comme le ferait une genette, plus féline. C'est aussi dans ce sens qu'il faudrait interpréter ce nom d'animal chez Hérodote cinq siècles avant quand il parle de la Libye, puis de la future Maurétanie ; ceci affaiblirait l'hypothèse Nord-africaine de l'origine du furet. Problème : la genette est-elle domesticable à l'instar de certains mustélidés, ou indomesticable à l'instar de certains petits félidés ? On rapporte souvent son utilisation traditionnelle assez libre dans le Maghreb ; sur Internet vous pouvez voir ce vivérridé nocturne de genette apprivoisée sur le site américain d'A.J. Rose. Bon, une trace de moins pour le furet... En revanche, l'article figurait un vase qui pourrait prêter à discussion (voir ci-haut).
Voici le détail du vase. J'attends au Prêt Entre Bibliothèques la première édition de l'ouvrage de Trendall, pour voir une meilleure image (consultée, la troisième édition n'en livrait que la référence). détermination du vase contexte situation silhouette taille queue longueur des pattes forme du museau oreilles
DES BELETTES ? DES FOUINES ? DES GENETTES ? Y aurait-il eu une confusion furet/belette ? On retrouve écrit un peu partout que les grecs avaient domestiqué la belette, et lui conférait le même rôle de dératiseur domestique que nos chat actuels. C'est tout à fait possible : les belettes méditerranéennes sont de plus grande taille que nos belettes de France, et les gros rats gris et rats noirs n'avaient pas encore débarqués d'Orient en Europe. L'hermine est théoriquement exclue (aire de répartition trop nordique, mais ça a pu régresser depuis l'Antiquité). Les petits mustélidés sont généralement considérées comme des espèces anthropophiles ; et pris jeunes, il est tout à fait possible de domestiquer ce type d'animal. Les auteurs suisses du petit guide sur les mustélidés (voir rubrique "Informations") et ceux du site
"Tartuff" ont par exemple réussi à apprivoiser une petite fouine, qui s'est comportée à peu près comme un animal "domestiquement correct", cohabitant dans la maison avec humains, chat, chien et furet. Donc c'est possible, et c'est traditionnellement admis par la plupart des auteurs. Mais on manque de preuves archéologiques (j'aimerais bien les voir ces belettes) et... ça n'empêche pas l'utilisation du furet !TWN PERI TA ZWIA ISTORIWN, IX, 6 |
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" La fouine a la taille d'un petit chien de Mélité ; par sa fourrure, son aspect, le blanc qu'elle a sous le ventre, la méchanceté de son caractère, elle ressemble à la belette ; elle aussi s'apprivoise très bien, mais elle est nuisible aux ruches, car elle aime le miel. Elle mange également les oiseaux, comme les chats. Son organe génital, nous l'avons dit, est un os et l'organe génital du mâle passe pour être un remède contre la strangurie : on le donne en râclures. " |
" H d iktis espi men to megeqos hlikon Melitaion kunidion twn mikron, thn de dasuthta kai thn oyin kai to leukon to upokatw kai tou hqous thn kakourgian o moion galhn, kai tiqasson de ginetai sfodra, ta de smhnh kakourgei tw gar meliti capei. Esti de kai orniqofanon wster ai ailouroi. To d aidoion auths esti men, wster eirhtai, dokei d einai farmakon straggourias to tou arrenos didoasi d epixuontes. " |
Là, plus de doute ! L'iktis est bien la fouine. On la retrouverait aussi dans un autre passage d'Aristote sur l'anatomie des organes génitaux : " Ailleurs le pénis est formé de tendons, [...] ou osseux comme celui du renard, du loup, de la fouine (iktis) et de la belette (galé) [...] " (Histoire des Animaux, II, 1, 500b). Précision : la strangurie c'est les calculs rénaux. Un mustélidé au ventre blanc (le "plastron" des naturaliste) distinct de la belette, ça ne peut être que la fouine, présente aujourd'hui jusqu'en Crête. Pour raison géographiques, la martre et l'hermine devraient être exclues. Ce blanc ventral est ce qui "flashe" le plus chez la fouine. Les autres critères attribués (fourrure, aspect méchanceté) sont communs à l'ensemble des petits mustélidés. Le trait insistant sur le miel va dans le même sens : tous les carnivores aiment le miel, mais en régime alimentaire habituel c'est typique de la fouine et de la marte qui, sont arboricoles. Quand aux oiseaux, c'est exactement la même chose : furet et putois sautent mal et grimpent mal, tout terricoles qu'ils sont ; ils n'attrapent guère que les oiseaux vivant au sol, les couvées, et les oisillons tombés, ce qui n'est pas du tout le cas de la fouine, au talent comparable au chat. Et on sait qu'Aristote est une source fiable. Celà fait beaucoup d'arguments pour la fouine et en défaveur du furet... Opinion purement personnelle... Mais pas forcement si farfelue qu'il n'y paraît : j'ai en effet trouvé un renfort scientifique ! En consultant le volume 10 de l'Encyclopédie des Carnivores de France, par Roland Libois (1991) pour voir les rapports homme/fouine, je suis tombé sur une introduction précieuse. Elle a été rédigée par Lilliane Bodson, enseignante de Philologie Classique à l'Université de Liège (Belgique). Ses conclusions ? Oui, on peut traduire iktis par fouine !!!
ALORS PRÉSENT OU PAS ? En terminant ce petit voyage dans l'Histoire Grecque, on a plus l'impression de reculer que d'avancer. Mais le fait est que le monde grec ancien est vaste : Grèce, Mer Noire, Sicile et Italie du Sud, littoral de la France, Catalogne, Libye, etc...
Aucun de ces textes grecs n'indique de façon claire l'existence du furet, même dans le monde grec. Solution indirecte ? Et si dès l'Antiquité, on avait une traduction ? En Grec les mots pour les petits animaux semblent mal assurés, mais en Latin tout est clair comme on le verra plus loin. En cherchant autre chose (pharmacopée romaine), je suis tombé sur ce passage de Pline (I° s. p), traduit par A. Ernoud en 1962 (aux Belles Lettres, collection des Universités de France, où l'on trouve la plupart des auteurs anciens en version bilingue). Et alors, surprise :
HISTOIRES NATURELLES, XXIX, 16, 60 |
HISTORIA NATURALIS, XXIX, 16, 60 |
" Il y a deux espèces de belettes, l'une sauvage et plus grande ; les Grecs l'appellent ictis. [...] L'autre espèce, celle qui erre dans nos maisons, transporte chaque jour ses petits et change de gîte ; [...] celle-là fait la chasse aux serpents. " |
" Mustelarum duo genera ; alterum siluestre, distans magnitudine, Graeci uocant ictidas. [...] Haec autem, quae in domibus nostris oberrat et catulos suos, cottidie transfert mutatque sedem, [...] serpentes persequitur." |
Notre iktis ne serait donc pas le furet (domestique pour les romains et dénommé "uiuerra"), mais une sorte de grande belette (dénommée "mustela"). L'étymologie de Mustela ? D'après le Dictionnaire Etymologique de la Langue Latine de J. André (1994), c'est... "pas d'étymologie claire" ! o) Seule une hypothèse est avancée : un dérivé de mus = la souris ; belettes et fouines (les deux traductions proposées pour mustela) seraient donc les " bêtes à souris " des Anciens. Par leurs aires de répartition, l'hermine et le putois sont aujourd'hui exclus du monde grec... mais pas la fouine ! Chose assurée : l'utilité domestique de l'iktis est dans la chasse aux rongeurs et autre nuisibles ; il n'y a pas d'utilisation cynégétique car le lapin n'était pas présent chez les grecs (sauf colonies occidentales) qui ne connaissaient que le lièvre, qui se chasse différemment. Attention, les informations de Pline sont à prendre avec des pincettes, on verra pourquoi. Cela pourrait confirmer que la fouine pourrait donc être l'iktis des grecs... Au niveau des textes, il y a encore beaucoup de domaines à explorer : ouvrages cygénétiques, médicaux, et cométiques (tiens, le traité sur les odeurs de Théophraste) -le musc étant utilisé à partir de l'époque hellénistique (après Alexandre). Au XVII° Siècle, l'usage semblait traduire "ictis" par "furet". En grec moderne, on traduit d'ailleurs furet par " iktis " : tiens donc... Mais il existe aussi un avis de poids : celui de Buffon. Plus de 2 000 ans après Aristote, le fondateur avec Linné de la zoologie scientifique au XVIII° Siècle ne penchait pas pour la traduction d'"iktis" par "furet". " Malgré l'autorité des interprètes et des commentateurs, nous doutons que le furet soit l'ictis des grecs ".
L'épigraphie (étude des inscriptions) n'aide pas : les corpus sont a priori muets sur la question. En numismatique j'ai vu une genette, mais pas de mustélidé identifiables à un furet. L'archéologie ? La composition des sources en histoire grecque, avec tous ces textes, n'a pas permis jusqu'à ces dernières années l'émergence et l'importance relative de l'archéozoologie dans ce domaine, comme elle l'a acquise dans d'autres périodes historiques et d'autres régions de l'Europe. Et qui plus est dans une région déjà très fouillée... avec les méthodes du XIX° Siècle. Ca veut dire gros travaux et terrassements monumentaux pour retrouver un lieu historiquement connu. A la pelle d'autrefois plus qu'au petit pinceau d'aujourd'hui. Les ossements d'animaux (a fortiori petits) n'étaient pas en soit les objets recherchés, et on mettait de côté (sans étudier) les couches de "remblai" archéologiques que l'on trouvait. Hors, ce sont maintenant ces remblais, ou les zones de dépotoirs antiques, ou les latrines... qui nous apprennent le plus aujourd'hui sur la vie quotidienne des temps anciens ! C'est là que l'on retrouve les petits objets jetés de la vie quotidienne, les restes de repas, les traces des animaux familiers. On mesure ce qui reste à faire. En tout cas, je n'ai pas encore trouvé mention de restes de furets trouvés en fouilles en Grèce ancienne (peut-être dans le monde grec des colonies ?).
Lapin ? non, lièvre.
Levraut, plus exactement. Voilà un cadeau utile pour la Saint-valentin, mais ça ne fait pas avancer notre affaire... Cratère attique à figures rouges, groupe de Polygnotos, 430 av.JC. ; 23 cm, Musée Vivenel, Compiègne, France.Et l'art ? Alors là, c'est carrément explorer une galaxie, et on reverra ça plus tard. De la peinture grecque (qui tenait dans leur société une aussi grande place que la notre), il ne reste pratiquement rien... Du peu de vases grecs (où il y a tellement de scènes de vie) que j'ai déjà pu voir, il y avait différentes races de chiens (logique), une fois un chat et une fois un petit animal (fouine ou genette), et quatre ou cinq fois des lièvres (et non de lapins, les vases venaient de cités de Grèce) ; jamais de furet et de mustélidé en général. Le site n'en est qu'à ces débuts. Affaire à suivre...
LES SOURCES :
Columelle -Lucinius Junius Moderatus Columella de son vrai nom- est un auteur latin d'Espagne (Cadix) du I° Siècle ap. jc. ; il a vécu sous l'Empereur Claude (vers l'an 40-50 ap.) et écrit son ouvrage à Rome. Sa somme agricole (12 livres !) nous est parvenue en entier, ce qui est loin d'être toujours le cas chez les auteurs de l'Antiquité... que de choses perdues. De l'agriculture a été dédicacée à l'adresse de Publius Sibinus ; on sait que Columelle était un admirateur du poète bucolique Virgile. L'ouvrage est soigné et on peut difficilement mettre sa compétence en doute : il y a une tradition de compétence technique et gestionnaire dans sa famille, il est possesseur de terres près de Rome, et a étudié de nombreux domaines agricoles (dont celui de Sénèque!) ; et en plus de ses expériences, il est connaisseur des auteurs antérieurs, et a voyagé dans l'Empire. Columelle passe pour avoir un style précis, clair, et employer toujours le mot propre : pas de confusion technique ! L'ouvrage traite de la culture, de l'élevage, de la gestion et études. Aucunement de la chasse : " les chiens de chasse ne concernent pas de notre profession ", dit-il plus haut. Il est devenu l'une des sources de Pline l'Ancien et son autorité a été parfaitement reconnue par la postérité ; il reste un témoin du bon goût du Siècle d'Auguste, mais capacités techniques comme littéraire ont souvent été sous-estimée. En tout cas, un auteur pas assez connu (alors qu'on nous rabat les oreilles avec Pline! °), et... un livre qui a été galère à trouver ! Le furet est cité dans un passage sur les canards et autres oiseaux d'eau :
DE L'AGRICULTURE, VIII, 15, 2 |
DE RE RUSTICA, VIII, 15, 2 |
" La muraille sera recouverte tant au dehors qu'au dedans d'un enduit bien lisse, afin que ni les chats, ni les furets ne puissent s'y introduire. Au milieu de la canarderie, on creusera une mare de deux pieds de profondeur [...] . " |
" Sed ea tota maceries opere tectorio levigatur extra intraque, ne feles, aut uiuerra perepat ; media deinde parte nessotrophii lacus defodidur in duos pedes altitudinis [...] . " |
Le sujet, c'est la protection de l'enclos à canards, donc. Chats (feles -catus viendra plus tard) et furets (uiuerra) ne sont pas mis dans le même sac que les animaux nuisibles (animales r). Columelle a en tête aussi la protection des oeufs et des canetons, dont il parle plus loin dans le texte. Ca me rappelle une anecdote sur Internet où un propriétaire de furet a vu dans son garage toute une couvée de canetons éliminée par son furet... Quel animal ? La traduction est de Louis Dubois et date de 1845 (pas moyen d'avoir plus récent). Vous allez me dire qu'en latin "furet" se dit "furo", comme son nom scientifique Mustela furo. Et que "uiuerris" francisé, ça fait "viverridés". Encore des genettes et toujours pas de furet ? Oui, mais non ! Heureusement pour nous, l'étymologie des mots latins est encore mieux établie que celle des mots grecs. Il y a simplement deux mots pour désigner la même chose qui viennent de racines et d'origine différentes. Comme aujourd'hui pour un véhicule on dira "voiture" (par usage, comme du temps des chevaux), aussi bien qu'"automobile" (qui est le terme spécifique exact mais non consacré par l'usage). Uiuerris (le V et le U c'est la même chose en latin) est le mot spécifique exact désignant " l'animal furet ", d'usage originel ; l'utilisation a été ensuite abandonnée. Furo désigne bien aussi un furet, et vient du mot "fur" qui veut dire "voleur" ; dans l'usage, il a été ensuite appliqué à l'animal par analogie. C'est un mot très tardivement utilisé. Les deux mots désignent donc sans problème notre furet, mais pas à la même époque. Ouf ! Et merci au bon gros Dictionnaire de la langue latine de G. Freund (1862). Le uiuerarium (ne pas confondre avec vivarium) désignait spécifiquement la cage à furet. En tout état de cause, le texte de Columelle est donc le premier texte sûr pour l'Histoire du furet !
PLINE L'ANCIEN est avec Aristote l'auteur ancien le plus cité sur les animaux. Caius Plinius Secundus est un haut fonctionnaire originaire de l'Italie du Nord (Gaule Cisalpine), et témoigne d'un esprit curieux et encyclopédique. Ses 37 livres des Histoires Naturelles dédiées à Titus en l'an 77 (sous les empereurs Flaviens, donc) traitent des phénomènes naturels, des minéraux, des plantes, des animaux, et des hommes. Sa base de données, qu'il a lui-même indiqué a de quoi impressionner : 4000 auteurs, 25000 fiches. Pline a fourni lui-même ses ressources bibliographiques ; pour le Livre VIII, ça nous donne 45 auteurs étrangers et 19 latins, dont Varron et Columelle. Ce ne sont pas ses propres données d'observation qui sont à l'origine de son travail. Si la quantité d'information est au rendez-vous, l'esprit critique ne l'est pas toujours. Les informations sérieuses et douteuses se côtoient en vrac. Au lecteur de faire le tri. Les informations les plus douteuses portent surtout sur les animaux exotiques, rarement sur les espèces familières. Manifestement aussi, Pline a voulu plaire au goût du public... Sa méthodologie est fondée sur la dichotomie entre les animaux sauvages et exotiques / domestiques et indigènes ; on est loin de l'anatomie comparée d'Aristote... Quand au plan du progrès scientifique, ce serait faire injure aux hellènes de le comparer à Aristote : quelle honte ! Il faut prendre le document pour ce qu'il est, une gigantesque compilation documentaire (sans analyse critique) et non un traité de recherche scientifique. Et c'est déjà une précieuse source d'information en soi...
HISTOIRES NATURELLES, VIII, 81 |
HISTORIA NATURALIS, VIII, 81 |
" Le furet est très estimé pour la chasse qui leur fait ; on l'introduit dans leurs terriers, qui sont souterrains et à plusieurs issues, -de là vient le nom donné à l'animal- ; les lapins, expulsés par le furet, sont pris à la sortie du trou. " |
" Magna propter uenatum eum uiuerris gratia est : inicuiunt eas in specus, qui sunt multifores in terra -unde et nomen animali- ; atque ita eiectos superne capuint. " |
Son Livre VIII traite de la zoologie des animaux terrestres : animaux marins, oiseaux, insectes ont chacun leur livre distinct. Pline y parle de l'Espagne et évoque le même problème que Strabon : les nuisances des lapins, aux Baléares en particulier. Il avait déjà évoqué les îles Baléares en parlant de la géographie de l'Occident (livre III, 76), signalant qu'elle étaient infestées de lapins, nuisibles, sauf à Ibiza... qui avait la chance d'être infestée de serpents o) ! Pline explique dans la phrase juste avant que les habitants des Baléares ont étés tellement dépassés par ces invasions de lapins que l'affaire est remontée jusqu'à Rome, pour demandeur à l'Empereur Auguste l'intervention des militaires. Au premier coup d'oeil, on pourrai croire son récit un calque de celui de Strabon, 50 ans après ; en réalité il n'en est rien. S'il évoque le même problème à la base, le processus décrit est différent. Le passage est beaucoup plus court, notamment dans sa description de la méthode et de l'animal. Pas de mention de muselière ni de capture par l'animal. La bête chasse le lapin pour l'homme en l'expulsant de leur terrier, qui est simplement capturé à la sortie. En 1952, le traducteur A. Ernoud l'a traduit par "furet", comme de logique. Bon, de toutes façons, c'est le mode opératoire typique de la chasse au furet, tel qu'il est décrit du Moyen-age jusqu'à nos jours. Le furet repasse donc par là, par Pline.
Flavius Josèphe est un historien très connu : juif de Jérusalem ayant reçu la nationalité romaine, son regard passe pour apporter un éclairage complémentaire au reste de l'historiographie. Il écrivait en grec, comme les autres auteurs orientaux. Sous l'empereur Domitien (un horrible despote du style Commode de Gladiator o), il s'essaye au pamphlet en rédigeant le Contre Apion, vers l'an 93. C'est son titre usuel d'ailleurs, le titre original devant être " Peri ths twn Iudaiws arcaiothtos " (De l'antiquité du Peuple juif), en Grec. Son but était de répondre à plusieurs auteurs grecs d'Alexandrie qui avaient répandu des calomnies sur l'histoire et les coutumes du peuple juif (L. 1) -conflit récurent dans cette ville-, et de répondre en particulier (L. 2) à Apion, égyptien d'origine qui avait attaqué son précédent ouvrage des Antiquités juives. Les paragraphes 79 à 120 sont spécialement consacrés aux calomnies religieuses. Attention, on est en pleine polémique et tout n'est pas à prendre pour argent comptant, même chez un admirateur de Thucydide ! Comme le signalait le traducteur, on a " la finesse et la rouerie d'un avocat ". Pourquoi un texte latin, alors ? Tout simplement parce que la version originale a été perdue, comme l'essentiel de la documentation antique ; il a été sauvé en étant traduit en latin dans l'Antiquité tardive. Problème : il ne nous est parvenu que par un seul manuscrit médiéval du XI° Siècle... qui est très fautif, aux erreurs de mots remontant surtout aux versions antérieures de la fin de l'Antiquité. Les traducteurs de 1930 (T. Reinach et L. Blum) le signalent comme " rempli de coquilles, de bourdes, et d'omissions de toutes sortes ". Hou là !
.....CONTRE APION, 2, 81 |
...CONTRA APIONEM, 2, 81 |
" A cela donc, je réponds d'abord qu'en sa qualité d'Égyptien, même si chose pareille avait existé chez nous, Apion n'eût point dû nous le reprocher, car l'âne n'est pas plus vil que les furets (?), les boucs et les autres animaux qui ont chez eux rang de dieux. " |
" Ad haec igitur prius equidem dico, quoniam Aegyptius, uel si aliquid tale apuid nos fuisset, nequaquam debuerat increpare, cum non sit deterior asinus + furonibus et hircis et aliis, quae sunt apud cos dii. " |
Le culte du furet ! On ne me l'avais pas faite, celle-là (il faudra que j'en parle au CFAF °). En réalité, avec tout ce qui a été dit plus haut, vous vous doutez qu'il y a un problème... Donc là, Flavius Josèphe répond à l'accusation de culte clandestin de l'âne dans le Temple de Jérusalem, en signalant d'abord des cultes d'animaux qui existent en Égypte. Déjà, le texte étant truffé de fautes linguistiques, et les traducteur ont fait figurer le signe " + " (passage corrompu) devant le mot furet. mais beaucoup d'autres raisons que linguistiques s'y opposent. Déjà, l'origine ou la présence du furet en Égypte ancienne n'est pas très sérieuse, comme on l'a vu au début. Et surtout... s'il avait existé un culte du furet, on le saurait !!! Les transcripteurs de la fin de l'Empire ou de l'époque Ostrogothique (équipe de Cassiodore) ont vraisemblablement employé le terme " furo " pour l'équivalent en grec du chat ou ou la mangouste, désignant une réalité exotique qu'ils ne connaissaient pas. Et furo est un mot tardif, qui dans le Bas-Latin a remplaçant uiuerra : ça serait bien curieux de le retrouver dès le I° Siècle, une vingtaine d'années après Pline ! Conclusion : logiquement, il faudrait probablement retirer ce texte du reste des textes antiques sur le furet.
POLEMIUS SILVIUS et son "Index Nominum Animalium" était un célèbre inconnu (pour moi), que j'ai trouvé dans le Thesaurus Latinorum Linguae. Là, on aborde la période trouble et mal documentée du Bas-empire, finissant. Bon, alors le texte est dans Mommsen (Monumenta Germanica Historiae I, p. 543, 12) ; le grand Mommsen a aussi consacré une monographie au Laterculus de notre auteur latin. Il n'est pas forcement pas évident pour tout le monde de le retrouver dans les M.G.H., et il est dans le tome IX des auteurs antiques et I des Chronica Minora (1891). C'est là que vous aurez les références des manuscrits européens qui y font référence et de l'unique manuscrit bruxellois qui l'a conservé dans son intégralité. Les différents éléments de datation nous situent ce texte au milieu du V° Siècle, entre 438 et 449 et en tout cas dernières décennies de l'Empire Romain d'Occident... Polemius Silvius est un auteur chrétien et... tiens, un gallo-romain, du Sud ! Il est relié à Eucherius de Lyon, à une période d'affermissement du christianisme en Gaule. Mais des temps troubles, c'est clair : celui des grandes invasions du V° Siècle, après le grand traumatisme de l'invasion générale de 406 et de la première prise de Rome de 410 ! Gloups ! Bon, en réalité quand il a écrit ça on était dans les décennies du milieu dus siècle en plein sursaut, sous le règne du dernier empereur fort d'Occident : Valentinien III et le dernier grand général romain Aetius (celui qui a repoussé Attila à la bataille des Champs Catalauniques). Donc c'était quand même pas la fin du monde ! o)
Polémius Silvius est passé à la postérité comme chronographe, et a priori on ne voit pas le rapport avec le furet... o) Chronographie ? Ben, c'est à dire de l'usage du calendrier : par exemple en ce qui nous concerne traiter des jour fastes pour faire ceci ou cela, les mentalités de l'époque étaient extrêmement imprégnées de ça (et au delà des évolutions religieuses d'ailleurs pour plus d'un millénaire d'ailleurs y compris avec le succès rural des almanachs dans les premiers imprimés). Même si son but était de faire une retouche chrétienne du calendrier romain, c'est utile pour l'origine du vocabulaire calendaire avec ses origines païennes, et notre auteur nous donne un schéma de ses énumérations. Il nous donne dans l'ordre ; I : enumeratio principum cum tyrannis (Nomina omnium principum Romanorum), inter Ian. et Febr. (énumération des noms de grands personnages pour janvier-février) ; II : enumeratio provinciarum Romanorum (Nomina provinciarum), inter Febr. et Mart. (énumération des noms de provinces pour février-mars) ; et on arrive à la partie III qui nous concerne : enumeratio spirantium : quadrupedum, volatilium, natantium (Nomina cunctorum spirantium), inter. Mart. et Ap. (les noms d'animaux pour mars-avril) ; ...et j'en passe jusqu'en décembre avec les ratio quaerendae lunae festique paschalis , fabricarum urbis romae, poeticae fabulae, pondera sive mensurae, sectae philosophicae (poids et mesures et j'en passe o).
TABLATURE, III, (11-12) |
LATERCULUS, III, (11-12) |
NOMS COMMUNS SIGNALES COMME QUADRUPEDES "[...] arcoleon?. furmellaris?. mus mustela?. marmotte. mus eraneus?. taupe. darpus?. ecureuil. loir. renard. lapin. lièvre. furet. fungalis?. noctua?. nerdis?. cacoplepa?. grenouille. [...]" |
NOMINA CUNCTARUM SPIRANCIUM ATQUE QUADRIPEDDUM "[...] arcoleon. furmellaris. mus mustela. mus montanis. mus eraneus. talpa. darpus. scirus. glir. vulpis. cuniculus. lepus. furo. fungalis. noctua. nerdis. cacoplepa. rana. [...]" |
Notre auteur cite le furet dans une liste de 110 animaux quadrupèdes, avant "ceux qui volent" , les "fixes", les "rampants", les "insectes", et "ceux qui nagent", bref par l'apparence externe (typologie de locomotion), plus proche des auteurs latins médiocres que de l'anatomie comparée aristotélicienne (par la structure interne). Les mots laissés en rouge avec points d'interrogation n'ont pas été traduits ici, par précaution ; il aurait fallût faire des hypothèses à partie de la décomposition de mots du style "la bête à miel". Au fait, pour le titre Laterculus on peut le traduire par "registre" ou "tableau" (et non pas "brique" ou "gâteau" comme vous trouverez dans les dico latins de poche o), un peu le Excel de l'époque, quoi o) ; j'ai choisi de ne pas trop solliciter le texte car l'extrait est lapidaire ("sec" si vous préférez o) et je ne voudrais pas extrapoler là-dessus. On pourrait même aussi s'interroger, aux lignes qui précèdent notre extrait, sur la retranscription des igneumon (mangouste), visons (vison), ludra (loutre), où à chaque fois il y a une lettre qui cloche, d'ailleurs...
Polemius Silvius emploie le terme " furo " pour désigner le furet, et non " uiuerris ", et serait normalement le plus ancien témoignage du mot furo. Il serait donc historiquement lui, le premier auteur à employer ce mot, et non pas Isidore de Séville au Haut Moyen-Age comme il est souvent écrit ! Pas d'erreur, pourtant. Bien sûr la langue latine a évolué, du latin classique au latin tardif ("Bas-latin"). Le mot originel et linguistiquement exact est tombé en désuétude sous l'effet de l'usage populaire (le fameux latin vulgaire) ; à sa place, le mot furo s'est imposé. Ce n'est pas du tout un dérivé de uiuerris, mais un dérivé de " fur ", à savoir voleur ; c'est par analogie (entre le comportement de l'animal et le voleur) que s'est forgé notre mot furo. A l'époque romaine, le furet ne pouvait voler comme dans nos appartements actuels télécommandes et poches de Kleenex, mais on peut faire confiance à l'atavisme si typique de notre animal familier pour dérober peignes, bourses et autres petits objets de l'époque qui traînaient pour les emporter dans une cachette.
Cassiodore (Flavius Magnus Aurelius Cassiodorus) n'est pas un auteur antique au sens chronologique (il est mort au premier siècle du Moyen-age en 580), mais il est un auteur latin -Antiquité tardive- au sens culturel. Issu d'une famille chrétienne d'origine syrienne, de rang sénatorial, il a fait carrière de haut fonctionnaire dans le nouvel état Ostrogothique qui régnait alors en Italie. Retiré après 554 sur ses terres en Calabre, il entame -au delà de ses propres productions littéraires- une oeuvre à la portée considérable. En effet, il y fonde un monastère où en plus des activités religieuses, travaille un atelier de copie considérable. Cassiodore a constitué une importante collection pour l'époque de manuscrits grecs et latins, et a ainsi contribué à la transmission des oeuvres majeures de l'Antiquité classique. On doit trouver ça dans les volumes LXIX et LXX de la Patrologiae Latinae (si-si, en Patristique, ce n'est pas une blague o)... Au départ, la référence au mot furo n'était pas claire. Voici le passage tiré de ses écrits (livre 2) sur l'auteur juif du II° Siècle Flavius Josèphe, suivit d'un commentaire Contre Apion (ça ne vous dit rien ? o). Ben si, j'espère que ça ne renvoie pas à l'histoire du texte de Flavius Josèphe...
.....................xxxx , 2 |
....................xxxx , 2 |
" xxxxxxxxxxxxxxxxxxx Furet xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx. " |
" xxxxxxxxxxxxxxxxxxx Furo xxxxxxxxxxxxxxxxxx. " |
Cassiodore
Isidore de Séville n'est pas un auteur latin Antique : il est né un siècle après la fin de l'Empire Romain... Je ne devrais pas le mentionner ici. Mais je le fais parce que ça revient au même. Notre Isidorius Hispalensis est un auteur latin chrétien de l'Espagne du Sud, à cheval sur les VI° et VII° Siècle. Au tout début du Moyen-age donc. En pleine Espagne wisigothique, ce haut clerc (canonisé) érudit a produit la plus grande oeuvre littéraire du temps. Isidore a voulu faire oeuvre d'une gigantesque compilation encyclopédique de données, voulant transmettre à son temps un maximum de savoirs antiques. Faute d'accès directs aux textes d'auteurs anciens, il a représenté jusqu'à la fin du Moyen-age une source d'information incontournables. Il a beaucoup utilisé Pline (et recopié les mêmes bêtises), mais pas seulement. Il n'y a rien qui ressemble à une vrai systématique chez Isidore : les animaux y sont classés tantôt par le milieu, la taille, ou l'utilité. On est déjà très loin d'Aristote et de sa systématique physiologique, des sommets de la science hellénistique : c'est effrayant ! Là où ses sources étaient réservées, il fonce ! Bien sûr Isidore admet l'existence des centaures, griffons et phénix, tout comme la naissance des cigales de crachats de coucou... Isidore s'est intéressé aussi bien aux sciences dures que naturelles, à la linguistique, qu'à la philosophie. Plus que scientifique, son intérêt est documentaire.
ÉTYMOLOGIES, XII, 2, 39 |
ETYMOLOGIAE, XII, 2, 39 |
" Furo (furet) vient de furuus (noir), ainsi que fur (voleur). En effet, il creuse des galeries obscures et cachées et en extirpe la proie qu'il y a trouvé. " |
" Furo a furuo dictus, unde et fur. Tenebrosos enim et occultos cuniculos effodit et eicit praedam quam inuenerit. " |
Notre saint n'a pas tout compris ; là on est bien dans l'univers de l'Antiquité tardive et du Haut Moyen-age. Le furet creuse, mais pas des galeries entières ! Il s'introduit dedans pour faire le " videur " et c'est déjà assez typique. Isidore de Séville propose une étymologie associant fur (voleur) et que furuus (noir) pour expliquer le nom usuel de l'animal, car le voleur opère la nuit : " nam noctis utitur tempore ", dit-il dans le livre V. A l'identique, le furet poursuivrai ses proies dans l'obscurité. Il fallait y penser... Mais l'imagination de l'auteur est contredite par la linguistique : furuus n'a rien à faire dans cette galère. On n'est plus à ça près.
J'ai suivi ici la traduction de J. André établie en 1986 (pour une fois qu'on a une traduction récente, ça nous change o). On trouve aussi ce mot tardif de furo comme furet chez Cassiodore, mais c'est presque l'unique exemple. C'est finalement ce mot de furo qui sera à l'origine de tous les mots qui désigneront le furet dans les langues romanes : furetto en italien, fuiron en vieux français, furon en occitan, huron en espagnol, furao en portugais... Je vous l'épargne en catalan et en roumain ! Cette influence s'est aussi étendue dans les langues germaniques, qui ont adopté en importation et l'animal et le mot : ferret en anglais, fret en néerlandais, frettchen en allemand, fritte en danois, fritt en norvégien, etc. (vous voulez pas que je vous le fasse en islandais non plus ?) ; la forme est similaire dans les langues slaves : fretka en tchèque et polonais, vretna en serbo-croate. Plus étonnant : on trouve la même racine dans les langues celtiques : fured en breton, ffyred en gallois... Pour le fun, vous savez comment on traduit le "cot-cot-cot" du furet en anglais ? C'est "dook-dook-dook"...
LE FURET EN PHARMACIE : Surprise ! Au début de la recherche documentaire, jamais je n'y aurais pensé ; et de fil en aiguille, voilà : j'ai fait un point spécifique, car c'est vraiment trop croustillant... Donc, le furet avait aussi une utilité pharmaceutique. Et je dit bien pharmaceutique, pas cosmétique. Comme on l'a vu, les sujets traités dans les Histoires Naturelle de Pline sont très variés. Le livre XI est consacré à la pharmacie "Remèdes tirés des animaux", les deux livres d'affilés traitant des remèdes tirés des plantes. La physiologie et l'anatomie y sont mises en valeur. A l'opposé de la médecine, Pline a consacré son Livre XXX à la magie, avec quand même enfin une volonté critique affichée pour critiquer ces croyances populaires et ces escrocs. Comme toujours chez Pline, il en parle quand même " puisque l'on a écrit dessus ". Pour nous modernes, il nous paraît difficile de distinguer les deux ; quand on n'est pas spécialiste, si l'on ne signale pas le livre d'origine, rien n'est moins évident... Les types de remèdes semblent se ressembler un peu dans cette vision antique, entre magie et médecine ; par contre, la source d'information et le praticiens sont bien distincts même si ça n'apparaît pas dans ce texte. Tout cela évoque un peu les remèdes animaux de la médecine chinoise traditionnelle, ou de l'Occident médiéval. Il faut bien comprendre que non seulement les molécules de synthèse n'avaient pas été inventées, mais le système de diagnostic est basé sur le principe des quatre humeurs -et ça le restera jusqu'à l'époque de Molière !
HISTOIRES NATURELLES; XI, 261; XXX, 16; "27 |
HISTORIA NATURALIS; XI, 261; XXX 16; "27 |
" La verge est osseuse chez le loup, le renard, et la belette, et le furet ; de celle de ce dernier on retire les principaux remèdes contre la pierre chez l'homme. " |
" Ossea sunt lupis, uulpibus, mustelis, uiuerris, unde etiam calculo humano remedia praecipua. " |
" On guérit des douleur du foie en mangeant une belette des bois ou son foie, ou un furet rôti à la façon d'un cochon de lait. " |
" Iocinerum doloribis medetur mustela siluestris in cibo sumpta uel iocinera eius, item uiuerra porcelli modo inassata." |
[épillepsie] " Il est bon aussi de faire prendre en boisson la cervelle conservée de la belette, ainsi que son foie, ses testicules ou sa matrice, ou son estomac conservé avec de la coriandre. On donne même la cendre de l'animal ou la belette toute entière comme aliment. On attribue ces mêmes propriétés au furet. " |
[comitialibus] " Prodest et cerebrum mustelae inueteratum potumque et iocur eius, testiculi quoque uoluaque aut uentriculus inueteratus cum coriandro, ut diximus, item cinis, siluestris uero tota in cibo sumpta. Eadem omnia praedicantur ex uiuerra. " |
Les traductions sont de 1947 pour le livre XI et de 1963 pour le livre XXX, toutes les deux par A. Ernoud, soit le traducteur contemporain les plus usuel avec J. André. La maladie de "la pierre" est l'ancien nom pour désigner les calculs rénaux. Curieusement, les maladies sont aussi variées que les éléments organiques du furet utilisés ! Verge comme matière première contre les calculs, corps rôti contre les maux du foie, cendres contre l'épilepsie ; le rapport entre les trois maladies n'est pas évident. Quand aux propriétés des organes, les organes génitaux, tout comme la cervelle ou le foie, sont d'une manière générale les parties les plus utilisées chez les animaux ; autant que les masses musculaires ou les poumons semblent peu dotés de propriétés dans les remèdes tirés des animaux. Une certaine logique peut quand même être discernée dans le rapport pathologie/thérapie : calculs/verge osseuse, foie/foie, épilepsie/cervelle. La prescription contre les calculs est d'ailleurs la même que celle rapportée par Aristote (qui la précise "sous forme de raclures"). D'une façon générale, on constate que ces utilisations du furet sont identiques à celle que l'on doit normalement faire de la belette (à prendre au sens large, belette et fouine), voire d'autres carnivore ; à chaque fois, il n'est mentionné après description du remède-type belette, en choix secondaire. Malgré les précautions d'usage quand on lit Pline, on voit bien que les trois textes vont dans le même sens : en aucun cas le furet n'est le remède usuel. Vous êtes rassurés ?
UN ANIMAL DEJA FAMILIER : Que tirer des textes latins ? D'abord que ça y est, c'est sûr le furet était bien un animal domestique présent dans l'Empire Romain, et bien distinct des mustélidés sauvages. Une chose me paraît importante : la description de l'animal. Dans tous les textes, c'est l'action, le comportement de l'animal, qui est décrit. A la différence d'autres espèces animales -essentiellement exotiques- qui sont physiquement décrites aux lecteurs, Pline n'a pas jugé pertinent de décrire à quoi ressemble un furet. Et alors ? Ca laisse supposer que pour Pline, le furet est un animal déjà connu de ses lecteurs. Un animal domestique déjà familier des romains, donc. Reste à savoir dans quel cadre. Ce qui est sûr, c'est qu'à priori le furet n'a pas été utilisé pour les venationes (" chasses ") des jeux du cirque -qui d'ailleurs ne sont pas ce que l'on croit souvent : il y avait aussi les numéros de dressage, d'acrobaties ou comiques. Sa très petite taille lui ne permet pas d'être bien vu des spectateurs, même avec des gradins bien conçus : que ce soit en chasse, en combat, ou en simple exhibition le problème scénique est les même. De toute façon, malgré ce que l'on dit de l'agressivité du furet, si l'on pouvait déjà faire des combats furet/furet ou furet/serpents ou je ne sais quoi d'autre, certains esprits y auraient déjà pensé et ça se saurait...
ESPAGNE, FURETS ET LAPINS : Ce qui est aussi frappant, ce sont les éléments récurrents des textes : furet = lapins = Espagne. En gros, c'est l'équation. Le furet était utilisé pour la chasse au lapin en tant que nuisible et l'Espagne était le pays des lapins, ça d'accord. L'utilité présumée univoque du furet induit un postulat : la diffusion du lapin permet-elle de donner une image " en négatif " de la diffusion du furet ? Au passage, s'il y a un animal où existe bien une ambiguïté sauvage/domestique, c'est bien le lapin et pas le furet ! Là, les tendances géographiques sont connues, par les données archéozoologiques et anthropiques. Étymologiquement, le terme latin Hispania vient du phénicien I-shepan-im, " le pays des damans " (petits mammifères indigènes auxquels leurs ont fait penser les lapins) ; chez les auteurs de l'Antiquité, l'Espagne a toujours eu cette image typique de terre à lapin. Et son foyer originel, loin d'être aussi immense que celui du lièvre, semble au départ borné sur la rive nord de la Méditerranée occidentale. Est-ce qu'il faudrait en conclure à une aire de répartition du furet limitée à la Péninsule Ibérique ? Ou même à une origine espagnole du furet ? Pas sûr. Pline est d'Italie du Nord, et son lectorat virtuel tout l'Empire (même si les provinces orientales restent hellénophones). Donc ça ne veut pas dire qu'il n'y ai pas de fufus dans d'autres provinces et qu'il n'y ai pas eu de réelles pratiques cynégétiques. On ne peu pas vraiment dire que les romains comme les grecs ne chassaient jamais, mais c'était une pratique exotique au regard de l'agriculture qui reste la pratique honorable par excellence. C'est l'ordre de valeur inverse de celui des élites nobles du Moyen-age. Côté archéologie, en tout cas il y aurait certainement à creuser du côté des Ibères. C'est peut-être dans ces peuplades que l'on pourrait remonter l'origine de furet... Et l'on sait aussi que dans l'antiquité l'aire de répartition du lapin avait passé les Pyrénées orientales et atteint le sud de la Gaule. Dans sa très belle synthèse Les gaulois du midi, l'archéologue Michel Py indiquait pour les siècles de transition entre Âge du Bronze et Âge du Fer, le lapin pouvait représenter jusqu'à 20% des animaux chassés dans la région ; mais comment, piégeage ou furetage, telle est la question... Pourquoi pas ?
UNE PREMIERE DIFFUSION ? Le problème pour bien évaluer l'usage et la diffusion du furet, c'est de croiser les sources romaines ; hors, à la différence d'autres animaux domestiques abondamment traitées, le furet fait l'objet de mentions trop lacunaires. Ce que l'on est toujours libre de supposer, c'est qu'avec la facilité de circulation des hommes et des biens dans l'Empire romain, le pragmatisme culturel romain qui amène souvent à utiliser les recettes locales pertinentes, les phénomènes d'acculturation dans les élites comme le peuple (marchands, militaires), on voit pas comment le furet ne se serait pas diffusé dans d'autres provinces que l'Espagne ou les provinces méditerranéennes. J'ai aussi feuilleté rapidement -15mn- les Res Rusticae de Varron (très "chat" comme ton, ça se lit tout seul) : pas de mention du furet, même au sujet des leproria ; ce ne sont pas vraiment des garennes au sens où nous l'entendons, mais des morceaux variés de nature reconstituée, d'agrément, pour élever plusieurs espèces. Curieux.
Sur les sources "non-littéraires", je dirai la même chose que pour l'Histoire Grecque : R.A.S. pour le moment... J'ai juste commencé un balayage du côté des mosaïques romaines d'Espagne. Rien encore, mais je suis tombé sur une mosaïque de chasse d'Afrique du Nord (thèse d'Isabelle Morand sur l'Hispanie romaine de 1992, pl. VI-3). Cette image servait de point de comparaison pour le propos de l'auteur (mentalités des propriétaires ruraux selon les mosaïques) ; elle vient de la ville de Djémila, dans la Mosaïque des lions. Et si l'on faisait la recherche du furet par la recherche du lapin ?
Scène de chasse, détail ; Mosaïque des lions, Algérie.
Djémila, c'est une cité antique de l'Est de l'Algérie, près de Sétif. Dans l'immédiat, je n'ai pas mieux que cette reproduction et je n'ai pas non plus les données historiques directes de l'image. En tout cas, on a le chasseur, le filet, et le gibier... manquerait-il le quatrième élément cynégétique, le furet ? bouquin de Precheur-Canonge : La vie rurale en Afrique romaine d'après les mosaïques... mais date de 1962 ! lapin ou lièvre ? " leporum " peut être écrit à courre ou au filet (question de la taille du filet) " pas impossible que le lapin de garenne ait été recherché " (même si se sont surtout les lièvres et les renards qui abondent dans les images du petit gibier à poil) lapin dans mosaïque du seigneur Julias problème de l'ignorance des réglementations de chasse dans l'Afrique romaine " comme en France avec la capture au collet ou au furet, cette activité moins originale et de peu d'intérêt pour un mosaïste n'a été que rarement représentée " pièges rare (chasse populaire temps/moyens) comme dans la mosaïque de l'impluvium d'Oudna
Problème : le furet supporte-t-il le climat de l'intérieur du Constantinois ? Et on sait que les genettes (bien indigènes, elles) étaient apprivoisées et utilisées. Donc, gros doute...
Alors que l'on dispose de corpus épigraphiques et archéologiques bien plus importants en Europe, étendue de l'Empire oblige ! Question archéozoologie, par exemple aucune mention dans le corpus de données archéozoologiques et historiques Hommes et animaux en Europe publié en 1993 et qui traite l'Antiquité, le Moyen-age, et les Temps Modernes (jusqu'au XVIII° Siècle, donc). Il n'y a que trois mentions du furet, toutes pour le Moyen-age et aucune pour l'Antiquité ! En revanche il y a 10 mentions "putois" (Mustela putorius) en France, Angleterre et Allemagne, sur 40 du genre Mustela et 90 " Mustélidés " : rageant. Affaire à suivre...
Olivier Cornu © 2001-2002
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